«La madame était très gentille, douce. Jamais on ne peut imaginer quelque chose comme ça», murmure Abraham Mesfun, calé dans son lit d'hôpital. Il y a quelques jours, ce chauffeur de taxi a vu la mort de près après avoir été sauvagement poignardé par sa cliente, en apparence si gentille et si douce.

De sa chambre de l'Hôpital général de Montréal qu'il partage avec trois autres patients, le chauffeur de taxi de 50 ans, travaillant pour la compagnie Atlas, s'estime chanceux d'être en vie pour raconter ce violent épisode. Malgré les pansements, les marques au visage et les grimaces de douleur au moindre mouvement, l'état de santé de M. Mesfun s'améliore et il devrait obtenir son congé bientôt.Des proches et confrères ne comprennent pas comment quelqu'un peut s'en prendre gratuitement à un homme si bon, surnommé «International» tellement il parle à tout le monde.

Le plus dur, pour ce père de trois enfants, est de vivre cette épreuve loin de quelques membres de sa famille, partis en vacances en Érythrée, leur pays d'origine en Afrique.

Lorsqu'on lui demande de raconter l'agression, Abraham Mesfun revoit le film des événements, environ 35 secondes, dont les moindres détails sont imprimés dans sa mémoire.

À 23h45 lundi soir, Abraham Mesfun roule rue Sherbrooke, près de Victoria, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. Il vient de terminer son quart de travail. Au volant d'un taxi depuis 20 ans, Abraham Mesfun n'a jamais travaillé de nuit.

En bordure de la rue, une femme agite la main. La dernière course de la soirée, se dit-il. «Elle m'a demandé d'aller sur le boulevard Décarie à quelques pâtés de maisons de là. Ensuite, je rentrais chez moi», souligne le chauffeur.

La cliente, qui porte des gants et un grand sac à main, modifie ensuite sa destination et entraîne le taxi dans un dédale de petites rues du quartier. Elle demande finalement au conducteur de s'immobiliser devant une résidence. «J'ai tourné la tête vers l'adresse et j'ai entendu le déclic d'un revolver. Aucun coup de feu n'a retenti. J'ai aussitôt saisi l'arme», raconte le chauffeur.

M. Mesfun est alors poignardé une première fois au flanc droit. «Le reste s'est passé trop vite. Je n'ai pas senti la lame dans mon corps, mais je sentais le sang couler. Elle a exigé de l'argent, je lui ai donné ce que j'avais.»

Pour sauver sa peau, Abraham Mesfun appuie alors sur l'accélérateur, pendant que son assaillante s'accroche au volant pour l'empêcher de fuir. Dans l'échauffourée, le conducteur reçoit un autre coup de couteau.

Mais il continue à rouler. Il veut se rendre rue Sherbrooke, plus éclairée et fréquentée. Il y parvient et termine sa course en percutant une voiture.

Le chauffeur sort alors de son taxi et se met à courir, pendant que la femme prend la fuite. «Je n'avais plus de force. Je me suis finalement agrippé à un lampadaire sur Sherbrooke, avant de tomber. Un homme est rapidement venu, a déposé son manteau sous ma tête, avant de contacter les policiers», résume M. Mesfun.

Conscient pendant toute la durée de l'agression, il a lui-même fourni aux policiers une description de la forcenée, rapidement épinglée quelques rues plus loin.

Pendant ce temps, Abraham Mesfun est transporté à l'hôpital. «Une policière m'a accompagné et maintenait une pression sur une de mes blessures. Elle m'a dit: tu ne vas pas mourir, je ne te lâche pas!»

Beaucoup d'agressivité

Les agressions violentes et les vols sont fréquents dans l'univers des taxis.

Le débat entourant l'installation d'une vitre de sécurité entre le conducteur et la banquette arrière refait surface chaque fois qu'un nouvel incident fait les manchettes.

Abraham Mesfun incarne désormais ces risques du métier. «Il manque de sécurité à bord des voitures. C'est sûr que Montréal n'est pas une grande ville américaine, mais plusieurs clients ne paient pas leurs courses et il y a beaucoup d'agressivité dans les taxis», explique M. Mesfun, en faveur de l'installation des vitres de sécurité.

Le chauffeur reconnaît avoir fait les frais d'un geste isolé. Il croit aussi que son inexpérience du travail de nuit y est pour quelque chose. Plusieurs chauffeurs de taxi avaient apparemment croisé la femme sans s'arrêter, comme s'ils flairaient quelque chose de louche.

Dawn Norville, 42 ans, a été accusée de tentative de meurtre, vol qualifié, déguisement (elle portait une perruque), conduite dangereuse et possession d'arme en vue de commettre un acte criminel, mercredi, au palais de justice de Montréal. La Couronne s'est opposée à sa mise en liberté et l'accusée devra revenir en cour pour son enquête sous cautionnement.

Abraham Mesfun ne pense pas conduire un taxi à nouveau. Pas à court terme en tout cas. Une seule chose compte pour le moment: «Merci mon Dieu, je suis en vie», laisse-t-il tomber.