Alors que l'enquête du coroner sur la mort de Fredy Villanueva est toujours dans l'impasse, l'affrontement entre la police et des jeunes de Montréal-Nord, mardi soir, a prouvé que le feu couvait toujours dans le quartier. Cette situation inquiète tant les commerçants que les policiers, qui craignent de vivre un été mouvementé.

Sous un soleil radieux, des enfants hauts comme trois pommes jouaient au soccer hier matin au parc Carignan. Tard la veille, c'est dans ce petit espace vert niché au coeur d'un secteur résidentiel du quartier Montréal-Nord qu'a éclaté un affrontement musclé entre des policiers et une cinquantaine de jeunes.

Neuf personnes ont été arrêtées et un policier a subi des blessures mineures durant ces débordements, au cours desquels des vitrines de bâtiments, d'abribus, de commerces et de voitures ont volé en éclats. Des feux ont aussi été allumés dans des ordures.

Le spectre des émeutes de l'été dernier hantait bien des esprits hier matin dans ces rues de Montréal-Nord devenues familières. Et ce, même si les événements de mardi soir se sont avérés de bien moindre importance.

Mais les traces du grabuge de la veille étaient encore bien visibles dans les environs. Assez pour laisser un goût amer dans la bouche des commerçants et résidants du quartier interrogés.

Tout a débuté vers 22h15, lorsque les policiers ont reçu un appel - le deuxième en soirée - concernant une bagarre entre jeunes au parc Carignan, situé à l'angle des rues Rolland et Renoir.

À leur arrivée, il n'y avait aucune bagarre, seulement un groupe de 50 à 75 jeunes dans le parc.

Les policiers auraient alors décidé de rester à l'écart et de garder un oeil sur le parc. C'est à ce moment que des jeunes auraient commencé à lancer des projectiles en leur direction, des roches et des bouteilles notamment.

«Les policiers ont alors dispersé les jeunes, qui se sont mis à vandaliser des résidences, des voitures et des commerces», a expliqué l'agent André Leclerc, du Service de police de la Ville de Montréal.

C'est à ce moment que les policiers ont procédé à l'arrestation de neuf personnes, toutes adultes.

Sept d'entre eux ont comparu au palais de justice de Montréal, hier après-midi, pour divers chefs d'accusation, principalement de voie de fait à l'égard de plusieurs policiers, qui ne sont toutefois pas identifiés comme tels dans les actes d'accusation. La Couronne s'est opposée à la mise en liberté des accusés et ceux-ci seront de retour devant le tribunal ce matin pour leur enquête sous cautionnement. Deux autres ont été relâchés.

Un policier a quant à lui subi des blessures mineures au visage et au bras pendant qu'il passait les menottes à un des suspects.

Mauvaise publicité

Résidants et commerçants déploraient hier cette nouvelle mauvaise publicité pour leur quartier. «Le grabuge est l'oeuvre d'une bande de jeunes qui font du trouble avant d'aller se cacher. Ils veulent juste mettre le feu aux poudres», a dénoncé Carl François, qui a assisté aux événements depuis son logement situé en bordure du parc. «C'étaient des jeunes qui se tiraillaient jusqu'à ce qu'un coup de poing soit donné. Une dame en haut de chez nous a aussitôt appelé les policiers. À leur arrivée, les jeunes se sont rassemblés pour foutre le bordel», a raconté l'homme de 42 ans.

Mère de deux jeunes enfants, Malika était surprise de constater que le parc familial devant chez elle se retrouvait au coeur d'un affrontement avec les policiers. «Je suis toujours dans ce parc, il n'y a que des enfants ici d'habitude. Hier soir, c'était étrange, il y avait un groupe de jeunes agités, des filles se bagarraient», a-t-elle souligné.

Près d'un an après les émeutes de Montréal-Nord, des commerces de la rue Pascal ont à nouveau été ciblés par les vandales.

La vitrine de la boucherie Fortin a notamment été perforée par un projectile. «J'ai peur que les problèmes recommencent. C'est l'été, les gangs de jeunes se tiennent dans le coin», a soupiré le gérant de la boucherie.

À quelques mètres de là, Sarith Oum balayait les éclats de verre sur sa Honda grise. Le pare-brise avant et la vitre arrière étaient fracassés. La voiture du jeune homme était garée au mauvais moment et au mauvais endroit. «Il n'y a pas eu d'incident comme ça depuis longtemps. Je sais que ça n'a pas rapport avec moi», a déploré M. Oum, qui devra payer les dégâts de sa poche.

Quelques autres voitures stationnées dans la rue ont été endommagées.

Sur le boulevard Léger, les vitrines d'une succursale de la Banque Nationale et d'un Jean Coutu ont aussi été brisées.

Des vitriers étaient en train de réparer celle de la pharmacie. «Les vandales auraient utilisé des bonbonnes de gaz propane», a expliqué Benoit Lapointe, de Vitrerie Michelois.

Pas de bon augure

De son côté, le président de la Fraternité des policiers de Montréal, Yves Francoeur, ne «voit pas de bon augure» les événements survenus au parc Carignan. «Malheureusement, on est appelé à craindre les débordements cet été», a-t-il dit, hier.

Après l'émeute du 10 août dernier, le syndicat des policiers avait critiqué la direction du Service de police de Montréal pour sa gestion de la crise. Rien à voir avec la mini-émeute de mardi. Cette fois-ci, le syndicat considère que la mobilisation policière a été adéquate et bien organisée. «Trente minutes après le début de l'événement, on était plus nombreux que les manifestants», a souligné M. Francoeur.

Autre aspect positif aux yeux du syndicat: «Les citoyens de Montréal-Nord nous disent qu'ils en ont assez des fauteurs de troubles et que ces derniers ne sont pas représentatifs de la population du quartier», a indiqué le président de la Fraternité.

Invité à réagir, le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, allait d'ailleurs dans ce sens. Il a expliqué que ce sont des citoyens qui ont fait appel aux policiers, ajoutant que la majorité d'entre eux veulent vivre calmement et en paix à Montréal-Nord. Selon le ministre, l'incident aurait été causé par certains agitateurs qui tentent de «déstabiliser le quartier» pour se livrer à des actes illégaux.

Enfin, la coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés, Nicole Filion, a plutôt imputé les événements de mardi soir à la tension croissante entre les policiers et la population. Une tension qui s'explique, selon elle, par la répression policière et l'exclusion sociale vécue par une partie importante de la population.

Avec Caroline Touzin, Tommy Chouinard, Christiane Desjardins et La Presse Canadienne