Le 3 juillet 1979, Gilles Pimparé et Normand Guérin tuent Chantal Dupont, 15 ans, et Maurice Marcil, 14 ans, en les jetant en bas du pont Jacques-Cartier. Ce double assassinat bouleverse le Québec. Trente ans plus tard, un des meurtriers, Gilles Pimparé, raconte, pour la première fois, son enfance, les meurtres et sa vie en prison.

Trois juillet 1979. Le soir. Gilles Pimparé et Normand Guérin violent Chantal Dupont, 15 ans. À quelques mètres de là, son ami, Maurice Marcil, 14 ans, est assis sur une poutre du pont Jacques-Cartier, les pieds pendants au-dessus du fleuve. Il est terrorisé.

 

Gilles Pimparé et Normand Guérin ont emmené leurs victimes sur la passerelle qui court sous le pont Jacques-Cartier. Maurice sait qu'il va mourir. Il supplie Guérin et Pimparé de le tuer avant de le jeter en bas du pont. Pimparé serre une corde autour du cou de Maurice. Chantal pleure. Maurice perd connaissance. Il tombe, une chute vertigineuse de 163 pieds. Lorsque son corps touche les eaux noires du fleuve, il est vivant.

Quelques instants plus tard, c'est au tour de Chantal. Son corps heurte l'eau avec une violence inouïe. Elle aussi est vivante au moment de l'impact.

Cause de la mort: noyade.

Ce double meurtre a bouleversé le Québec. Pimparé et Guérin ne connaissaient pas les victimes. Ils voulaient leur dérober de l'argent. Maurice avait 2$ sur lui; Chantal, rien.

Quelques jours plus tard, la police arrête les deux meurtriers. Ils ont 25 ans. Normand Guérin passe aux aveux, des aveux crus qui dorment dans une vieille boîte de carton, dans les archives du palais de justice de Montréal.

«La fille (Chantal) était toute nue à l'exception de ses petites culottes et elle cachait ses seins avec ses mains, a raconté Normand Guérin à un policier de la Sûreté du Québec. Là, Gilles Pimparé m'a dit: c'est à ton tour. (...) Là, j'ai fourré la fille et après je lui ai dit de se rhabiller. Là Gilles a dit au gars (Maurice) de s'asseoir sur le pilier toujours en dessous du pont, au-dessus de l'eau et il a dit au gars: «Fais ta prière parce que tu vas mourir.» Là le gars a dit: «Si tu veux me tuer, jette-moi pas tout de suite en bas du pont. Étouffe-moi avant.»

«Là Gilles a sorti une corde et il l'a passée autour du cou du gars et il a serré. Le gars se débattait pas mal. Là Gilles serrait plus fort mais il avait de la misère. Là le gars a perdu connaissance et Gilles l'a poussé en bas. (...)

«Le gars a touché l'eau et la fille m'a dit: «Tu m'avais promis de ne pas nous tuer.» J'ai dit: «Tu viens de voir quelqu'un mourir, je ne peux pas te laisser aller.» (...) Là je l'ai pognée par en arrière, elle se débattait, je l'ai pris par le cou pour l'étouffer, j'ai tombé à terre avec la fille. Là j'ai continué à l'étouffer. J'étais pas capable, elle se débattait trop et j'ai dit à Gilles: «Chu pas capable.» (...) Gilles m'a dit: «Bouches-y le nez et la bouche.» Je lui ai bouchés. Là Gilles a continué à l'étrangler et elle a tombé sans connaissance. J'ai pris la fille dans mes bras et je l'ai jetée.»

Gilles Pimparé se souvient avec une netteté stupéfiante du 3 juillet 1979. Chaque minute est gravée dans sa mémoire. Le film des événements tragiques tourne dans sa tête depuis 30 ans.

Je l'ai rencontré en avril, à la prison de La Macaza. Il faisait froid, un fin crachin brouillait le paysage. La prison se trouve au bout d'une route, dans les Laurentides, au nord de Labelle. Quelques blocs échoués dans un champ, entourés de clôtures et de barbelés.

Gilles Pimparé a vieilli. Sur les photos d'archives, ses cheveux noirs sont attachés en queue de cheval. Aujourd'hui, son front est dégarni, ses cheveux ont grisonné, ses épaules se sont voûtées. Petit, sec, nerveux. Une boucle d'oreille, un tatouage sur l'avant-bras, une montre. Jean délavé, t-shirt blanc. Il parle sans arrêt, comme s'il vomissait ses 30 ans de prison. Lorsqu'il raconte les meurtres et le viol, il pleure. Les larmes restent accrochées dans les rides de son visage fané.

Il se souvient de tout, de Chantal qui pleurait et qui le suppliait: «Fais-moi pas mal!», de la corde qu'il tenait autour du cou de Maurice, de Maurice, juché sur une poutre, les pieds dans le vide au-dessus du fleuve, du désarroi de Maurice qui voulait mourir avant d'être jeté dans le fleuve, de sa chute interminable avant que son corps touche l'eau, de son complice, Normand, qui n'arrivait pas à étouffer Chantal, de la panique qui les a submergés tout de suite après les meurtres.

«Normand pis moi, on était paniqués. Il y avait du sang sur mon manteau», raconte Gilles Pimparé.

Mais ils se sont vite calmés. Il n'y avait pas de témoins, Chantal et Maurice étaient morts.

«Après les meurtres, on est partis à La Ronde, pis on a mangé une pointe de pizza», dit Gilles Pimparé.

Il se souvient, avec une netteté tout aussi stupéfiante, des coups de poing que son père lui donnait quand il était petit, des nuits où son père se faufilait dans sa chambre pour l'agresser, du silence de sa mère, de sa propre violence qui le rongeait.

À 14 ans, Gilles Pimparé était une boule de rage. «J'étais réellement violent», avoue-t-il. Sa rage a explosé le 3 juillet 1979. Ce soir-là, Chantal Dupont, 15 ans, et Maurice Marcil, 14 ans, ont croisé sa route.

Gilles Pimparé a grandi dans le Faubourg à M'lasse, coin Frontenac et Ontario. Une enfance pauvre. Battu par son père, battu par sa mère. Une famille de six enfants, trois gars, trois filles. Gilles est l'aîné des garçons. Son père était poseur de plancher. Un colérique.

«J'étais pas gros, dit Gilles Pimparé. Un grand maigre.»

Un grand maigre qui carbure à la violence. «Mon père abusait de moi, raconte-t-il. Je me vengeais sur mes frères et soeurs.»

À 12 ans, il brûle le bras de sa soeur Johanne avec une spatule et il «garroche» un couteau à sa soeur Lise. «Elle voulait pas que je sorte.»

«Mes soeurs avaient peur de moi. J'étais le mouton noir de la famille. Ma mère avait peur de mon père. Quand il partait, elle me frappait avec un bâton de hockey ou un manche à balai. Je passais mon temps à pleurer. J'en ai mangé, des volées.»

Il se souvient parfaitement du jour où son père l'a battu pour la dernière fois. Il avait 14 ans et il fumait une cigarette au métro Frontenac. «Mon père m'a vu. Il m'a sacré une claque, j'ai saigné du nez et de la bouche.»

Il déteste l'école, où il accumule les échecs. À 14 ans, quand il apprend qu'il double son année, il pète les plombs. «Quand la maîtresse m'a donné mon bulletin, je lui ai donné un coup de poing.»

Le jour où le directeur le convoque à son bureau pour le battre avec une courroie, Gilles Pimparé réplique. «Il m'a donné un coup, un seul. J'ai attrapé la strap, pis je l'ai frappé avec.»

Il se retrouve à Saint-Vallier, une école pour les durs. Il passe trois jours seul dans une cellule. «J'ai démanché mon lit et j'ai brisé la fenêtre avec. J'arrêtais pas de pleurer.»

Il sort de Saint-Vallier gonflé à bloc. Enragé. Il multiplie les actes de délinquance. C'est à cette époque qu'il rencontre Normand Guérin. Ensemble, ils volent des autos et attaquent des dépanneurs. En 1975, il fait de la prison: vol qualifié avec port d'arme. Il se retrouve à La Macaza, d'où il s'évade. Il prend de la drogue, de l'alcool. «J'étais complètement parti. Je prenais mon gun et je faisais les dépanneurs.»

En octobre 1978, il est condamné à 20 mois de prison. Cinq mois plus tard, en mars 1979, il est libéré. Son agent de libération conditionnelle «croit naïvement en lui». Il part vivre chez ses parents et vend des encyclopédies. Il retrouve son vieil ami, Normand Guérin, qu'il avait perdu de vue.

En juin, quelques semaines avant le double meurtre, les deux hommes se promènent à La Ronde et sur le pont Jacques-Cartier à la recherche de victimes. Ils volent neuf personnes âgées de 16 à 65 ans et violent deux femmes. Une escalade de violence qui culmine avec la mort de Chantal Dupont et Maurice Marcil, le 3 juillet.

«C'est un accident, plaide Gilles Pimparé. Personne devait mourir ce soir-là.»

Quand Gilles Pimparé comprend qu'il est accusé de meurtre, il essaie de se suicider. Deux fois.

Les premières années en prison sont éprouvantes.

«Au début, je me sentais menacé. Les autres disaient: «Cet ostie de chien-là, il restera pas icitte!» Ils me traitaient d'ostie de crapule et d'ostie de pédo. Il y en a même un qui est entré dans ma cellule pour me crisser une volée. Pas facile. J'ai aussi des relations sexuelles sur le bras.

- Sur le bras?

- Je suis obligé de sucer des gars.»

Depuis 30 ans, Gilles Pimparé dort à peine trois heures par nuit. Il reste éveillé jusqu'aux premières lueurs de l'aube, puis il plonge dans un sommeil agité.

«Si je dors plus de trois heures, je fais des cauchemars», dit-il.

Il revit les meurtres et les agressions sexuelles. Les meurtres et les agressions. Toujours. Sans fin.

A-t-il des remords? «C'est sûr que j'en ai. Quand j'étais jeune, je savais pas comment approcher les femmes. On me traitait de criss de cave, d'ostie de niaiseux. Je passais pour un deux de pique. Pour moi, les femmes, c'était des osties de chiennes.»

Il veut sortir de prison. Il est convaincu qu'il finira par être libéré. Il a 55 ans. Il en a passé 36 en prison. En 1979, il a été condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. Depuis 2001, il a fait trois demandes de libération; les trois ont été rejetées.

Dans sa première décision, rendue en 2001, la Commission des libérations conditionnelles constate que l'ordinateur utilisé par Pimparé en prison contient 1500 photos pornographiques, dont celle «d'une jeune fille dénudée ayant à l'arrière-plan le pont Jacques-Cartier».

Les psychiatres rappellent sa «criminalité violente», sa «sexualité débridée», ses «délits sexuels», ses «antécédents criminels qui remontent à 1973 et qui n'ont cessé de s'aggraver avec les années dans la violence».

«Vous avez tendance à vous montrer catégorique, excessif, contradicteur, en marge et désireux d'échapper aux normes imposées, ajoutent les psychiatres. Vous avez un conflit avec l'autorité.»

Même diagnostic en 2005 et en 2008. En 2007, un rapport psychologique précise que Gilles Pimparé a «un risque élevé de récidive violente et sexuelle».

Gilles Pimparé rejette ces conclusions et plaide sa cause. «Je n'ai plus de violence en moi. Je suis encore un petit cul dans mon coeur, un enfant.»

Un enfant, jure-t-il, qui n'a plus de rage.

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