Chaque matin, pendant les 27 jours du procès, Daniel Casgrain s'est assis à la même place dans la première rangée de la salle d'audience. Toujours vêtu de manière impeccable, l'air digne, M. Casgrain, 43 ans, ne voulait rien manquer du procès de Francis Proulx, l'assassin de sa femme.

De sa place, M. Casgrain pouvait très bien voir Proulx dans le box des accusés. Le père de deux enfants était assis aux côtés de son clan, une dizaine de personnes, parfois plus, qui faisaient des allers-retours entre leur village de Rivière-Ouelle et Québec, où s'est déroulé le procès.

M. Casgrain n'a pas bronché lorsque la Couronne a montré la photo du cadavre de sa femme, recouvert de sacs de couchage, dans le sous-sol d'une maison abandonnée, jadis propriété de la famille Proulx. Il est resté digne lors du visionnement de l'interrogatoire de police où Proulx pleurait à chaudes larmes en décrivant son enfance difficile.

Mais lorsque le procès a failli prendre fin abruptement en raison du mensonge d'un témoin expert de la défense, M. Casgrain n'a pu dissimuler son indignation. C'était il y a environ un mois. Les avocats de la défense de Francis Proulx ont demandé un ajournement pour préparer leur requête en avortement de procès (ce que les médias n'avaient pas pu rapporter à l'époque puisque le procès se déroulait hors jury). Le juge Jacques Lévesque avait consenti à la demande d'ajournement.

À ce moment-là, la confiance de M. Casgrain dans le système judiciaire a été ébranlée. «Il (le juge) pense toujours à cet imbécile-là, pis jamais à nous autres», avait alors lâché le veuf, assez fort pour que ses proches - et certains médias assis tout près, dont La Presse - l'entendent. Au grand soulagement de M. Casgrain, le juge Lévesque a plus tard rejeté la requête d'avortement présentée par la défense.

Les deux procureurs de la Couronne, James Rondeau et Annie Landreville, ainsi que l'enquêteur principal au dossier, Bertrand Bérubé, ont souvent pris le temps de rassurer le mari de la victime. Dans la salle d'audience, Me Rondeau s'est plusieurs fois tourné vers lui pour l'avertir qu'une portion de la preuve, particulièrement horrible, allait être présentée. Durant les pauses, Me Landreville, enceinte jusqu'aux yeux, s'approchait du veuf pour parler de leurs «petits bonshommes» respectifs.

Autre moment particulièrement difficile pour la famille de Nancy Michaud: l'écoute de l'enregistrement audio des confidences de Proulx à un faux codétenu (en fait, un policier infiltrateur de la GRC). Avec une fierté non dissimulée, en riant parfois à gorge déployée, Proulx a raconté les détails scabreux des dernières minutes de la vie de sa victime.

Durant cette écoute pénible, Daniel Casgrain a quitté la salle d'audience, accompagné (comme toujours) de quelques membres de son clan. M. Casgrain a tout de même eu le temps d'entendre Proulx parler de lui. «Mon Ti-Loup Casgrain va avoir de la peine, là!» «Ti-Loup», c'est le surnom qu'on lui donne à Rivière-Ouelle, un village de 1200 habitants situé à 50 km de Rivière-du-Loup.

Daniel Casgrain n'a accordé aucune entrevue durant le procès. Il a attendu mercredi, jour du verdict, pour répondre à sa façon aux horreurs que Francis Proulx a fait subir à toute sa famille. À l'annonce de la jurée no 11, qui a déclaré l'accusé coupable de meurtre prémédité, M. Casgrain s'est levé et a applaudi.

Inimaginable

«Dans la nuit du 15 au 16 mai 2008, ma vie a été anéantie par la main d'un homme, d'un seul homme. La femme de ma vie m'a été retirée de la pire façon qui soit. Jamais dans mes cauchemars je n'aurais pu imaginer la perdre aussi cruellement», a-t-il lu à haute voix aux médias à sa sortie de la salle d'audience.

Le soir du meurtre, M. Casgrain travaillait comme opérateur de chargeur dans une tourbière. Comme tous les soirs, il avait parlé une dizaine de minutes avec sa femme au téléphone cellulaire. Sa conjointe, attachée politique du ministre Claude Béchard, lui avait raconté que la conférence de presse qu'elle venait d'organiser pour son employeur dans la salle communautaire du village s'était bien déroulée. Peu de temps après, elle a envoyé au lit ses deux fils, âgés de 2 et 7 ans. Elle s'est couchée tôt, elle aussi.

Ce soir-là, Proulx s'est introduit au sous-sol de la maison du couple Casgrain-Michaud, située sur la route 132. L'homme de 30 ans, aussi résidant de Rivière-Ouelle, était vêtu de son «habit de James Bond», une arme chargée à la main. Il a assassiné Mme Michaud d'une balle dans la tête, après lui avoir demandé ses cartes de crédit et son NIP. Puis il a déplacé le cadavre et l'a violé.

«J'ai perdu ma femme, ma confidente, l'amour de ma vie, ma douce moitié, celle qui me comprenait, qui m'écoutait, celle que j'avais choisie, avec qui je voulais passer le reste de ma vie», a dit M. Casgrain mercredi. Le père de famille se demande comment il arrivera un jour à dire la vérité à ses fils, Louis-Maxime et Charles-Étienne, tellement la mort de sa conjointe est «cruelle et sordide».

Dans sa lettre, M. Casgrain ne nomme jamais Francis Proulx. «Je me demande tous les jours comment je vais y arriver sans elle et cela à cause d'un seul homme. J'avais obtenu de la vie tout ce que je voulais; nous étions une famille heureuse. Cet homme m'a dépossédé de mon bonheur, celui de mes enfants et de notre avenir. Et Nancy aura donné sa vie pour sauver celle de nos enfants», a conclu l'homme, toujours digne.