L'enquête du coroner ad hoc Robert Sansfaçon sur l'affaire Fredy Villanueva débute lundi au Palais de justice de Montréal. Elle a pour objectif de faire une bonne fois pour toute la lumière sur les circonstances entourant la mort du garçon de 18 ans, tombé sous les balles du policier Jean-Loup Lapointe le 9 août dernier dans un parc de Montréal-Nord.

Une quarantaine de témoins donneront leurs versions des faits. Mais alors que la tenue de cette enquête aurait dû calmer la grogne d'une importante partie de la population, c'est le contraire qui semble se produire. Plus personne, outre les deux policiers impliqués, leur employeur et leur syndicat, ne veut y participer.

Ni les membres de la famille Villanueva, ni les jeunes qui étaient présents lors du drame, ni même leurs avocats n'entendent assister aux travaux du juge Sansfaçon. Tous respecteront les citations à comparaître qu'ils ont reçues, mais ils partiront dès qu'ils auront témoigné.

Les quatre groupes sociaux qui avaient demandé le statut de personne intéressée - la Ligue des droits et liberté, la Ligue des Noirs du Québec, le Mouvement solidarité Montréal-Nord et la Coalition contre la répression et les abus policiers - ont eux aussi indiqué publiquement qu'ils boycotteraient l'exercice.

Cependant, le Bureau du coroner n'a reçu aucun avis formel de désistement. Alors, si l'un ou l'autre de ces intervenants devait changer d'idée à la dernière minute, il en aurait l'occasion sans problème.

Depuis des mois, ces groupes réclament la création d'une commission d'enquête avec un mandat élargi ainsi que des deniers publics pour payer les avocats de la famille Villanueva et de celles des deux blessés. Ces avocats offrent pour l'instant leurs services à titre gracieux.

Mais le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, a toujours résisté - «ça va rester comme ça», a-t-il affirmé à plusieurs reprises -, tant et si bien que tous s'adressent maintenant directement à son patron. Et le premier ministre Jean Charest refuse de contredire son ministre.

Alain Arsenault, l'avocat de Jeffrey Sagor Metellus, l'un des deux jeunes blessés lors du drame, constate que «manifestement, c'est trop demandé», et qu'on aura droit à un bien étrange exercice.

«Est-ce que c'est une enquête crédible, transparente, comme le voulait le ministre de la Sécurité publique?, demande-t-il. Moi, je ne pense pas. Mais ça, c'est des choix qu'ils ont faits. Ils ont fait des promesses, les ont retirées. Il faut qu'ils assument les conséquences de leurs choix.»

En décembre dernier, les familles des trois victimes retenaient des propos du directeur des poursuites criminelles et pénales, Louis Dionne, qu'elles bénéficieraient des services d'avocats payés par les fonds publics. Le mois suivant, Québec expliquait ce ne serait pas le cas, que seule la famille Villanueva aurait droit à quelques heures d'assistance juridique payées par le gouvernement.

Dans une vidéo diffusée sur YouTube en février dernier, les Villanueva le dénonçait.

«On nous a promis une enquête publique et indépendante alors que, dans les conditions actuelles, c'est impossible d'en avoir, puisque les policiers, eux, ont six avocats, tandis que nous autres, on en a zéro», déplorait Patricia Villanueva, la soeur de Fredy.

Autant le Parti québécois, l'Action démocratique que Québec solidaire ont fait pression sur le gouvernement libéral pour qu'il desserre les cordons de sa bourse. Mais sans succès.

Des organismes comme la Ligue des droits et liberté ou la Ligue des Noirs ont demandé, eux, qu'on en profite pour étudier des questions comme le profilage racial, la pauvreté ou les relations entre policiers et jeunes issus des communautés ethniques.

Mais le juge Sansfaçon a refusé en avril de s'engager à étendre son mandat.

Une grave erreur, croit Me Arsenault.

«Ce que je vais vous dire est horrible, prévient-il. Ca va peut-être prendre un autre mort qui va entraîner une autre manifestation qui va entraîner un mort chez les policiers pour qu'ils se disent qu'il est temps de se poser les bonnes questions.»

C'est aussi la position d'une quinzaine de personnalités, dont l'ancien président de la CSN, Gérald Larose, le chanteur Luck Mervil et le député néo-démocrate Thomas Mulcair, qui signaient mardi dernier une lettre demandant une rencontre avec le premier ministre Charest. Celle-ci n'a pour l'heure pas eu lieu.

«Quand 52 pour cent des individus qui tombent sous les balles des policiers sont des gens de minorités alors qu'ils représentent huit pour cent de la société, il y a là un problème qu'il faut corriger», insiste M. Larose.

Fredy Villanueva a été abattu le 9 août 2008 à la suite d'une altercation entre un groupe de jeunes et les agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte. Denis Meas et Jeffrey Metellus, deux de ses amis, ont été blessés respectivement au bras et au dos. Dany Villanueva, le frère de Fredy, a aussi été impliqué.

Une émeute a suivi dans la nuit du 10 au 11 août.

Une enquête de la Sûreté du Québec (SQ) a déjà conclu qu'aucun des deux policiers n'avait commis d'acte criminel.