Les premiers témoignages de la commission Oliphant sur l'affaire Mulroney-Schreiber ont remis en question la version des faits livrée par l'ancien premier ministre Brian Mulroney devant le comité parlementaire de l'éthique, en décembre 2007.

Des documents préparés par la société allemande Thyssen semblent en effet indiquer qu'il n'était pas dans ses plans de vendre des véhicules blindés à la Chine et à la Russie si une usine avait été bâtie au Canada.

L'un des deux témoins qui ont comparu dans cette première journée d'audiences publiques, Marc Lalonde, a abondé en ce sens. M. Lalonde, avocat montréalais et ancien ministre libéral sous Pierre Elliott Trudeau, a agi à titre de lobbyiste pour la société entre octobre 1993 et septembre 1995 dans le cadre du projet Bear Head. Ce projet visait la construction d'une usine de véhicules blindés au Canada.

«Si vous regardez les projections qui ont été faites, par exemple, vous ne trouvez nulle part là-dedans mention de la Chine, mention de l'Union soviétique ou de la Russie à l'époque. Aucun des anciens pays membres de l'Union soviétique à ma connaissance n'était sur cette liste. Il y avait des pays où, de toute évidence, il était inconcevable qu'on puisse exporter à partir du Canada à cause de nos accords internationaux», a-t-il déclaré.

Or, lors de sa comparution devant le comité parlementaire de l'éthique, en décembre 2007, Brian Mulroney a affirmé qu'il avait reçu 225 000 $ du représentant de la société au Canada, Karlheinz Schreiber, pour promouvoir ses produits sur la scène internationale, notamment auprès de la Chine, la Russie, la France et les États-Unis.

M. Schreiber l'a contredit en disant qu'il avait plutôt retenu ses services pour qu'il permette à son projet d'usine de véhicules blindés de voir le jour en Nouvelle-Écosse ou au Québec.

La commission d'enquête qui a commencé lundi doit faire la lumière sur ces paiements, et sur la relation d'affaires qui unissait M. Mulroney à M. Schreiber. Elle doit notamment déterminer pourquoi l'ancien premier ministre a reçu entre 225 000 $ et 300 000 $ comptant dans trois hôtels de Montréal et de New York, en 1993 et 1994.

Elle doit aussi déterminer si l'entente conclue entre les deux hommes contrevenait aux règles d'éthique fédérales, par exemple si elle était en vigueur lorsque Brian Mulroney était en poste et si elle l'a placé en situation de conflit d'intérêts. Il a quitté ses fonctions de premier ministre en juin 1993 et celles de député le 25 octobre de la même année.

L'ancien premier ministre devrait comparaître devant la commission d'ici quelques semaines. À noter qu'en raison du privilège parlementaire, les déclarations qu'il a faites devant le comité de l'éthique il y a un an ne sont pas admises comme preuve. Il pourrait donc théoriquement changer sa version des faits.

De son côté, Marc Lalonde a répété deux éléments importants du témoignage qu'il avait livré devant le comité parlementaire. D'abord, il n'était pas au courant que M. Mulroney travaillait sur le même dossier que lui; et contrairement à l'ancien chef conservateur, jamais Karlheinz Schreiber ne l'a payé en argent comptant.

Pas de pressions directes

L'ancien ministre de la Défense sous Brian Mulroney, William McKnight, était le premier témoin lundi matin. Il a déclaré que l'ex-premier ministre conservateur n'avait jamais exercé de pressions directes sur lui dans le projet d'usine de véhicules militaires.

Il a néanmoins souligné que le dossier avait créé à l'époque un certain remous au sein du Conseil des ministres, notamment parmi ceux des provinces atlantiques qui faisaient activement campagne pour que l'usine soit bâtie au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.

Ces dissensions ont emmené au moins un chef de cabinet du premier ministre, Stanley Hartt, à intervenir auprès du ministre de la Défense, pour qu'il rencontre ses collègues et qu'ils discutent ensemble du dossier. «Pour que nous puissions continuer à vivre, et à fonctionner d'une manière collégiale», a expliqué M. McKnight.

Par ailleurs, l'ancien ministre a dit avoir trouvé «étrange» que le lobbying de Karlheinz Schreiber continue de manière «persistante» malgré les signaux clairs de son sous-ministre en février 1990 voulant que le ministre de la Défense n'avait pas l'intention d'aller de l'avant avec le projet dans un proche avenir.

Des documents obtenus par CBC en vertu de la Loi sur l'accès à l'information indiquent que le dialogue s'est poursuivi avec le gouvernement. Dans une note d'information datée du 12 juillet, le greffier du conseil privé de l'époque, Paul Tellier, a informé le premier ministre Mulroney qu'à sa demande, il a rencontré Karlheinz Schreiber pour discuter de l'«initiative Thyssen».

Les audiences reprennent aujourd'hui, avec les témoignages d'Elizabeth Moores, veuve de l'ancien premier ministre de Terre-Neuve, Frank Moores. M. Moores a aussi été lobbyiste pour M. Schreiber. Le deuxième témoin est un ancien chef de cabinet de Brian Mulroney, Derek Burney.