Une Marocaine dont la fille de 31 ans aurait été assassinée à Montréal en 2009 demande la résidence permanente au Canada pour des considérations d'ordre humanitaire. Elle veut rester auprès de sa petite-fille de 5 ans, malgré le fait qu'elle n'ait pas réussi à en obtenir la garde.

En avril 2009, la fille d'Amal*, Fatima*, aurait été étranglée par son mari, qui s'est suicidé avant d'être accusé de quoi que ce soit. Leur fillette de 18 mois a été confiée à sa tante et à son oncle paternels.

«Je suis attachée à ma petite-fille et elle est attachée à moi, a dit Amal, rencontrée en décembre dans son appartement du quartier Anjou. Je n'ai jamais demandé d'immigrer ici, mais les circonstances m'y ont obligée. Je veux finir ma vie ici, avec ma petite-fille.»

Amal, 58 ans, est arrivée au Québec en catastrophe au printemps 2009. Sa fille, Fatima, venait de mourir dans des circonstances tragiques.

Le 10 avril 2009, le mari de Fatima a appelé les policiers pour dire qu'il avait découvert le corps de sa femme en bas des escaliers, dans leur condo de Cartierville. L'autopsie a révélé qu'elle avait été étranglée («compression des structures du cou lors d'une strangulation»). La victime avait également une coupure à la main causée par une arme tranchante, comme si elle avait voulu se défendre.

Devant ce constat, les enquêteurs de la Section des crimes majeurs du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) «ont voulu procéder à l'arrestation du conjoint», peut-on lire dans le rapport du coroner. Ils n'ont pas eu le temps: le 14 avril, l'homme s'est pendu dans son appartement.

Les éléments recueillis sur la scène et les «analyses scientifiques» permettent d'établir que le mari serait l'auteur de l'homicide, indique le sergent Laurent Gingras, du SPVM. «Pour nous, c'est clair que la personne qui a commis l'homicide est le monsieur qui s'est pendu par la suite, dit-il. Il n'y a pas de doute dans la tête des enquêteurs. Sinon, l'enquête n'aurait pas été fermée.»

Lorsque Fatima a été trouvée morte, les services sociaux ont confié la fille du couple, alors âgée de 18 mois, à son oncle et à sa tante paternels, qui habitent à Montréal. Quelques heures avant de mettre fin à ses jours, le mari a rencontré un avocat pour confier la tutelle de la fillette à son frère et à sa soeur.

En octobre, une juge a confié la garde de l'enfant à la tante paternelle. Amal, qui était au Québec à ce moment-là, soutient qu'elle ignorait la tenue de ce processus judiciaire, annoncé par la famille paternelle dans le journal.

Dès 2009, Amal a tenté d'obtenir la garde de la fillette. Ses démarches se sont soldées en octobre 2011 par la signature d'un consentement grâce auquel elle a des droits d'accès un week-end sur deux (voir autre texte). Insatisfaite de l'issue du procès, elle souhaite entreprendre de nouvelles démarches.

Statut précaire

Avant tout, Amal veut régulariser son statut au Canada. Son visa de visiteur expire en avril et elle ignore si le gouvernement acceptera une autre fois de le prolonger.

Comme elle ne peut obtenir de permis de travail, elle doit vivre avec l'argent que lui envoient son mari et ses deux autres filles, restés au Maroc. Elle n'ose pas leur rendre visite de peur qu'on ne lui permette pas de retourner au Canada.

«Mon mari a été hospitalisé deux fois et je n'ai pas pu y aller», dit Amal. Si elle obtient un jour la garde, elle aimerait que son mari vienne s'installer avec elle à Montréal «pour former une famille» pour la fillette.

Amal a envoyé une demande de résidence permanente pour considérations d'ordre humanitaire en mars 2011. L'organisme Solutions justes l'a mise à jour en juillet dernier.

«Nous croyons que sa présence sur le territoire canadien est très importante, tant pour elle que pour l'enfant, dit Yolaine Williams, coordonnatrice de Solutions justes. C'est important que la petite préserve ce lien avec sa mère.»

La députée bloquiste Maria Mourani, Médecins du monde Canada et l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues (AFPAD) ont appuyé sa demande.

L'AFPAD la soutient «dans un esprit humanitaire», indique la coordinatrice Raymonde Hébert. «Pour les familles de victimes, c'est extrêmement difficile lorsque les enfants sont adoptés par la famille du [présumé] meurtrier», dit-elle. Ces familles doivent souvent se battre pour voir les enfants et sont contraintes de cacher leur tristesse, car elles ne veulent pas porter l'odieux d'aborder le drame avec eux. «Qui, un jour, dira la vérité à l'enfant?», demande Mme Hébert.

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UNE BATAILLE JUDICIAIRE COMPLEXE

En arrivant au Québec, en 2009, Amal voulait une chose: la garde de sa petite-fille orpheline. Elle s'est alors lancée dans une bataille judiciaire beaucoup plus longue et complexe qu'elle ne l'aurait pensé.

Amal a d'abord demandé la garde complète et la déchéance de la tutelle de l'oncle et de la tante. Dans sa requête, elle a soutenu que le couple était séparé lors du drame, que le mari acceptait mal cette séparation et qu'il avait été convenu que la mère aurait la garde de l'enfant.

La requête indique aussi que Fatima «entretenait des relations difficiles» avec l'oncle et la tante paternels et qu'«elle craignait même pour sa vie». Amal a remis au tribunal des copies de lettres anonymes que sa fille aurait envoyées au ministère de l'Immigration, en 2006 et en 2007, pour dénoncer de fausses déclarations que l'oncle et la tante, d'origine colombienne, auraient faites. «Ils m'ont déjà menacée en disant que si j'en parle à qui que ce soit, je serais une personne morte», aurait écrit Fatima, sans préciser qui exactement l'aurait menacée.

En septembre 2011, Citoyenneté et immigration Canada (CIC) a pris une mesure de renvoi contre l'oncle. La décision confirme que Fatima serait l'auteure des dénonciations. L'oncle l'a portée en appel.

Intérêt de l'enfant

En attendant la tenue du procès, une juge a accordé à l'automne 2009 des droits d'accès à Amal pour voir la fillette. Le tribunal a aussi demandé une expertise psychosociale, produite en juin 2010.

La psychologue a recommandé que la fillette continue à vivre principalement avec son oncle et sa tante, ses nouveaux «pôles d'attachement», et ce, dans le meilleur intérêt de l'enfant. Elle a aussi recommandé qu'Amal ait des droits d'accès réguliers.

Le procès, qui s'est tenu du 24 au 26 octobre 2011, s'est soldé par la signature d'un consentement entre les parties. La tante conserve la garde, et Amal, des droits d'accès un week-end sur deux. Comme aucune accusation n'a été portée contre le père, le juge n'a pas voulu aborder les questions relatives à l'enquête policière.

L'oncle et la tante paternels ont refusé d'accorder une entrevue à La Presse.

* Les prénoms ont été changés pour protéger l'identité de l'enfant.