La récitation de la prière à une séance du conseil de ville ne porte pas atteinte à aucun droit puisqu'elle se fonde sur un des grands principes de la Constitution.

C'est ce qu'a fait valoir la Ville de Saguenay, lundi, en Cour d'appel, à Québec. La Ville et son maire Jean Tremblay contestent une décision du Tribunal des droits de la personne qui leur interdit de prononcer une prière en ouverture de séance et qui exige le retrait du crucifix et d'une statue du Sacré-Coeur.

C'était un citoyen, Alain Simoneau, qui avait porté plainte et le Tribunal des droits de la personne avait jugé que Saguenay avait porté atteinte de façon discriminatoire à son droit à la liberté de conscience et de religion.

La cause en appel a été entendue lundi par les juges Benoît Morin, Allan H. Hilton et Guy Gagnon. M. Tremblay n'a pas assisté aux plaidoiries.

Dans son argumentaire, lundi matin, un des avocats de la Ville, Claude Armand Sheppard, a rappelé que la Constitution de 1982 reconnaît, dans son préambule même, non seulement la primauté du droit, mais la «suprématie de Dieu».

N'en déplaise, à ceux qui ont d'autres vues sur la place de la religion dans la société, le Parlement a donc reconnu la préséance d'une entité divine, et il n'y a pas de contradiction entre le préambule de la Constitution et le respect de la liberté de conscience et de religion invoqué dans la Charte.

Il a posé cette question au banc de trois juges de la Cour d'appel: «Comment peut-on violer le droit de quelqu'un en posant un geste qui s'inspire, qui rencontre, un des deux principes fondamentaux de notre Constitution?»

Me Sheppard a aussi utilisé une analogie: le pays est une monarchie, mais personne ne peut se dire lésé dans ses convictions républicaines, parce qu'on ne force personne à être royaliste.

L'avocat a aussi plaidé que le texte de la prière est neutre, oecuménique, et peut être prononcé autant par un catholique, par un juif, que par un musulman.

L'autre avocat de la Ville, Richard Bergeron, a pour sa part fait valoir que le Tribunal des droits de la personne a outrepassé sa juridiction en se penchant sur les symboles religieux. Il a fait valoir que le maire ne s'est pas servi des objets religieux en prononçant la prière.

Il a mis en garde la Cour d'appel contre le risque d'aseptiser l'espace public québécois - truffé de symboles religieux - et le risque d'infantiliser la population.

Selon lui, c'est comme l'enfant qu'on place à tort dans un aquarium pour le protéger des microbes. Toujours dans la métaphore, il a ajouté qu'il valait mieux «manger un peu de crème pour développer un système immunitaire».

Le tribunal doit donc maintenir la tolérance à la vue d'objets religieux, au risque de voir un jour contestée la présence de la croix du mont Royal ou des statues sur les caps au Saguenay, a-t-il affirmé.

Enfin, il soutient que le dossier a été «contaminé» en première instance par la personnalité, l'«attitude» et les «convictions fortes» du maire Tremblay.

«L'attitude générale du maire a frappé» le Tribunal des droits de la personne et Me Bergeron a souhaité que la Cour d'appel s'en tienne aux faits, «à l'abri» de son attitude.

En boutade, il a lancé: «Vaut-il mieux un maire croyant qu'un maire qui aime les symboles de l'argent?»

Il conclut aussi notamment que les dommages à verser étaient non fondés parce que les préjudices subis par le plaignant n'avaient rien à voir avec le règlement de la Ville ou le maire.

En après-midi, le Mouvement laïque québécois, qui représente M. Simoneau, a fait sa plaidoirie.

Son avocat, Luc Alarie, a affirmé que la Ville avait porté atteinte droit à l'information politique de son client tel que reconnu par la Charte. Ainsi le règlement sur la prière adopté par le conseil municipal en 2008 visait M.Simoneau et créait deux catégories de citoyens, et l'une d'entre elles était exclue, puisqu'elle devait entrer à l'assemblée deux minutes plus tard si elle voulait éviter d'entendre la prière, a-t-il soutenu.

Les juges ont semblé remettre en question le caractère prétendu discriminatoire du règlement. «Il n'y a pas de coercition dans un texte semblable», a dit le juge Morin. Il a ajouté que «personne ne force (M. Simoneau) à sortir de la salle».

Il a dit avoir du mal à suivre le raisonnement de M. Simoneau qui «ne peut accepter que quelqu'un d'autre prononce ces paroles (la prière)».

Le juge Gagnon a longuement questionné Me Alarie. Quand ce dernier a contesté la validité du règlement en vertu de la Loi sur les cités et villes, le juge a répliqué que c'est la prière qui fait débat, non le règlement, et qu'il aurait fallu faire une procédure en Cour supérieure pour faire casser le règlement.

Il lui a aussi demandé comment il faudrait définir l'étendue de la neutralité de l'État, ses paramètres, car la décision de la Cour aura certainement des conséquences, étant donné les nombreuses salles de tribunal et de conseil municipal où se trouvent des crucifix, entre autres.

«On ne tolèrerait aucun signe religieux dans un espace public où il y a délibérations avec des élus?» a soulevé le juge.

Me Alarie a suggéré dans les lieux d'interactions avec les citoyens, comme au conseil municipal, où ils ont le droit d'intervenir, mais pas à l'Assemblée nationale.

Le juge a aussi demandé si la prière prononcée dans une pièce privée avant la séance serait acceptable.

Sur les dommages, les juges ont par ailleurs douté du préjudice subi par M. Simoneau par ostracisation, puisqu'il s'est lui-même aussi affiché comme un militant contre la prière. Me Alarie a quant à lui demandé à ce que la Ville paie pour les frais engagés par les plaignants, soit 100 000 $.