Vêtus de robes de soirée et de smokings, les élèves de l'école Marie-Anne, de Rawdon, ont fêté en grand la fin de leurs études... primaires. Cocktail sans alcool coulant d'une fontaine, photos avec toge et mortier, cérémonie de remise de diplômes devant les parents, rien n'a été oublié, pas même la danse qui battait son plein passé 22h.

«J'avais hâte au bal des finissants, je m'imaginais en robe!» a dit à La Presse Laurie Lafrenière, une brunette de 12 ans aux cheveux torsadés pour l'occasion. «J'ai aimé le primaire, mais je suis contente de passer à la prochaine étape», a témoigné Mélissa Malo, 11 ans, dans sa robe verte ornée de brillants. D'autres étaient plus émotifs. «C'est comme la dernière fois que je vois mes amis», a souligné Ève Cardinal-Roy, 12 ans.

Autrefois réservés à la fin du secondaire, les bals se multiplient dans les écoles primaires de Montréal, Laval, Longueuil, Saint-Sauveur, Victoriaville. «Il y a même des fêtes de graduation dans les garderies, a observé Diane Pacom, sociologue à l'Université d'Ottawa. Avant, le bal symbolisait la fin des études et le début de la vie adulte. Mais qu'est-ce que ça symbolise pour les jeunes du primaire? C'est sûr que finir le primaire pour aller au secondaire, c'est une grande chose. Mais quand on sait qu'il leur reste 20 ans d'études et 35 000$ de dettes, ce n'est pas réjouissant!»

«On souligne la réussite des enfants»

À l'école-pensionnat Marie-Anne, malgré leurs habits chic, les enfants sont restés eux-mêmes. Ils s'échappaient du banquet pour aller jouer dehors ou pour enfiler deux sandales à talons hauts dépareillées...

«On clôture de belles années et on souligne la réussite des enfants, a fait valoir Carole Lalancette, la directrice, qui a eu un bon mot pour chacun des finissants. Ça pleure beaucoup ! C'est toujours dur de les laisser aller. En secondaire 1, ils seront avec des jeunes de 16-17 ans qu'ils observeront, alors qu'ici ce sont eux les modèles.»

L'école Marie-Anne sonde par lettre ses anciens élèves, afin d'avoir leur avis sur le passage au secondaire. «Ce qu'ils trouvent difficile, c'est d'avoir moins d'attention des enseignants. Mais généralement, ça se passe très bien», a assuré Mme Lalancette.

«Ça a l'air compliqué, le secondaire», a dit Ian-Olivier Lavoie, 11 ans, qui avait choisi lui-même sa cravate rose et noire. Pensionnaire à Marie-Anne, le garçon «a passé deux mois à pleurer quand il est arrivé et pleure depuis deux mois parce qu'il ne veut plus repartir», a résumé Gaétan Lavoie, son père. «Je ne le trouve pas grand pour aller au secondaire, mais je suis content pour lui», a-t-il ajouté.

Soif de rituels

Les enfants de 11-12 ans sont devenus des «adonaissants», d'où l'engouement pour le bal des finissants, selon Mme Pacom. «Il y a un débordement de l'adolescence vers l'enfance, a-t-elle dit. On donne à des jeunes de 9 ans les valeurs, les goûts et le mode de vie de leurs frères et soeurs plus vieux. C'est pernicieux, car c'est d'abord la société de consommation qui en profite.»

À l'ère des enfants-rois «dont chaque geste est souligné par des trophées », ce sont souvent les parents qui réclament des diplômes, a-t-elle ajouté. « Ils sont conscients de la compétition féroce que leurs enfants vont devoir mener avec les gens de leur âge.»

Cette analyse n'est-elle pas sévère, alors que les petits d'aujourd'hui - qui fêtent Noël en jeans et sont élevés loin de la religion - ont peu d'occasions formelles de célébrer? «C'est sûr qu'il y a une soif de rituels, a convenu la sociologue. Dans une autre société, ces filles et garçons feraient leur première communion. Il n'y a rien de mal au bal des finissants si c'est fait correctement, mais ce n'est pas un rituel, qui doit avoir un sens transcendant et faire réfléchir. C'est davantage un moment fort, où on rigole et on est en famille.»