Le Canada doit rompre avec l'attitude colonialiste qu'il a adoptée à l'endroit du Grand Nord et accepter d'y développer de grandes institutions, en commençant par une université, estime le philosophe John Ralston Saul.

Le célèbre essayiste déplore qu'encore aujourd'hui, 10 ans jour pour jour après la création officielle du Nunavut, le 1er avril 1999, le Canada soit le seul des huit pays circumpolaires à ne pas avoir d'université en sol arctique.

«Pour certains, cela peut sembler anecdotique. Mais il s'agit, au contraire, d'un élément très important qui démontre l'intérêt réel du pays pour le Nord, explique-t-il en entrevue avec La Presse. Sans institution, comment peut-on réellement être pris au sérieux?»

M. Saul donne l'exemple des chercheurs canadiens, réputés pour leur expertise nordique : «Ces derniers résident dans le Sud. Ils se déplacent dans le Nord un mois par année. Puis ils reviennent. Cela ne vous semble pas colonial?»

M. Saul propose ainsi que le pays cesse d'avoir une vision exclusivement sudiste de ce qui se passe dans le Nord, en y implantant des universités, proposition qu'il fera aux participants du prochain Symposium LaFontaine-Baldwin, qui aura lieu à Iqaluit le 29 mai prochain.

«Envoyer des gens de temps en temps dans le Nord, c'est vraiment un argument sudiste, un argument colonial, fait-il valoir. Si vous avez des universités dans le Nord, cela change complètement l'argument. Subitement, vous avez les institutions clés pour le Nord dans le Nord, des institutions qui reflètent à la fois le Nord comme territoire et les gens qui y habitent.»

Le philosophe estime sa suggestion d'autant plus pertinente qu'un sondage Ipsos Reid, commandé par l'Institut pour la citoyenneté canadienne et l'Institut du Dominion en vue du symposium, révèle un grand appui de la population. Les trois quarts des répondants considèrent en effet que le Canada devrait établir une institution de haut savoir dans les territoires. Cela dit, M. Saul se réjouit que, pour «la première fois», une grande conférence canadienne se tiendra «enfin» dans le Nord. Président de l'événement, il souhaite en faire un moment de réflexion collective, d'où le sondage Ipsos Reid.

Celui-ci révèle une population attachée à ce territoire nordique, qu'elle connaît cependant bien peu. Seulement 13 % des Canadiens ont visité l'un des territoires du Nord, un taux qui chute à 5% au Québec.

«Ce chiffre est beaucoup trop bas, estime M. Saul. Nous n'avons pas encore eu de conversation, dans le centre du Canada, où ont été vantés les mérites du Nord. Aussi, on entend souvent dire que c'est trop cher de s'y rendre, alors que c'est le même prix qu'un billet pour l'Europe ou les Caraïbes.»

Intérêt pour l'Arctique

L'essayiste, qui a eu l'occasion de visiter les territoires à maintes reprises lorsque sa femme, Adrienne Clarkson, était gouverneure générale, se dit toutefois bien heureux de constater que les Canadiens s'intéressent malgré tout à ces immenses espaces.

Les trois quarts des répondants, par exemple, estiment que les élus devraient se concentrer davantage sur le Nord que sur le grand voisin du Sud, les États-Unis. Quelque 62% des Canadiens sont au courant du différend diplomatique qui entoure la souveraineté territoriale du Passage du Nord-Ouest.

Mais avant toute chose, c'est au climat et à son bouleversement que les Canadiens pensent lorsqu'on évoque le Nord. Pas moins de 84% des répondants croient que nous devrions regarder vers l'Arctique pour les signes avant-coureurs des changements climatiques, et 88% estiment que le Canada a la responsabilité de trouver des solutions à ce problème en raison de sa situation nordique.

Rappelons que selon le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), référence mondiale en la matière, l'Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète. La température du globe a augmenté de 0,74°C au cours des 100 dernières années.

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Réalisé en ligne du 8 au 23 mars auprès de 1011 Canadiens, le sondage Ipsos Reid a une marge d'erreur de 3,1 points de pourcentage, 19 fois sur 20.