Les écoles du Québec sont en train d'examiner les antécédents judiciaires de tout leur personnel, dans le but de débusquer les pédophiles. Après des dizaines de milliers d'enquêtes, 18 cas douteux de profs et futurs profs ont été signalés à la ministre de l'Éducation. Mais bien d'autres infractions moins graves sont rapportées aux employeurs.

Pour assurer la sécurité des enfants, le milieu scolaire québécois est en train d'examiner le passé de tout son personnel. Les antécédents judiciaires des enseignants, secrétaires, concierges, employés de cafétéria, chauffeurs de bus, même des bénévoles sont répertoriés par la police. Coût des vérifications: près de 6 millions payés par le ministère de l'Éducation depuis septembre 2006, a appris La Presse.

 

Une vingtaine de cas douteux d'enseignants - ayant notamment commis des infractions à caractère sexuel - ont été rapportés à la ministre Michelle Courchesne. Mais bien d'autres faux pas (conduite avec facultés affaiblies, possession de drogue, fausse déclaration à l'impôt, pouvant dater de nombreuses années) sont signalés aux employeurs, au grand dam des syndicats, qui doutent de la pertinence de ces enquêtes.

«On est dans une espèce de psychose de la sécurité, dans la triste ère post-2001, a dénoncé Pierre St-Germain, président de la Fédération autonome de l'enseignement. L'intention derrière tout ça, c'est d'exclure les pédophiles, et ce n'est pas remis en question. Mais on a étendu les vérifications à un niveau tel que c'en est presque ridicule.»

Multiples vérifications en cours

Depuis l'entrée en vigueur de nouvelles mesures en septembre 2006, les vérifications se sont multipliées. À l'embauche, le passé de toute personne «régulièrement en contact» avec des élèves mineurs doit obligatoirement être regardé à la loupe par les commissions scolaires et écoles privées. Avant d'accorder une autorisation d'enseigner, le ministère de l'Éducation fait aussi faire une vérification par la Sûreté du Québec, si bien que le passé d'un nouveau prof est examiné deux fois.

Ce n'est pas tout: le personnel (nouveau et ancien) des écoles doit aussi signaler, dans les 10 jours, toute nouvelle infraction criminelle ou pénale, tant à son employeur qu'au Ministère.

Quant aux employés déjà en poste, qui n'ont pas commis de nouvelle infraction, les employeurs ne sont pas obligés de vérifier leur passé. Mais la plupart le font systématiquement, a constaté La Presse. «C'est évident qu'il y a une très grande détermination dans le réseau scolaire de vérifier les antécédents judiciaires, a confirmé Denis Pouliot, porte-parole de la Fédération des commissions scolaires. Mais ce n'est pas une chasse aux sorcières, les commissions scolaires le font correctement.» Des collèges privés vérifient aussi les antécédents de tous leurs employés, a indiqué Auguste Servant, porte-parole de la Fédération des établissements d'enseignement privés.

Contrat pas renouvelé pour avoir fraudé l'impôt

Christine Fournier, présidente du Comité central des parents de la commission scolaire de Montréal, se réjouit du zèle des employeurs. «C'est sécurisant pour un parent de savoir que la personne qui est avec son enfant n'a pas de dossier criminel ou que celui-ci n'est pas en lien avec sa tâche», a-t-elle commenté.

Manon Bernard, présidente de la Fédération des syndicats de l'enseignement, est «en accord avec le principe de protection des enfants». Mais elle juge que des exceptions auraient dû être prévues. «Tu peux te retrouver à devoir déclarer des tickets de stationnement ou une infraction au Code de la sécurité routière, a-t-elle illustré. Parfois, ce sont des choses que tu as oubliées et qui n'ont pas de lien avec l'emploi.» Or, avoir omis de déclarer un antécédent peut justifier un congédiement.

«On a quelqu'un qui n'a pas eu son contrat renouvelé pour une fausse déclaration à l'impôt, a-t-elle poursuivi. C'est pousser un peu loin.» La FSE, qui regroupe 35 syndicats d'enseignants, a recensé plusieurs cas problématiques depuis septembre 2006.

Ce sont d'abord les commissions scolaires et écoles privées qui doivent juger si l'infraction est en lien avec la fonction occupée, avant de faire parvenir le cas à la ministre. Denis Pouliot fait valoir que la personne ayant fraudé l'impôt avait peut-être à manipuler de l'argent dans son travail et que le lien de confiance avec son employeur était peut-être rompu.

Le processus «ouvre la porte à l'arbitraire, a regretté Pierre St-Germain. Une direction qui a pris quelqu'un en grippe pourrait invoquer un incident anodin du passé, qui n'a peut-être pas été déclaré», pour sévir. La FAE, qui compte neuf syndicats d'enseignants, n'a toutefois reçu aucune plainte jusqu'à maintenant.

Tolérance zéro pour la drogue

Antoine Cloutier, futur professeur de maths de 19 ans, sait qu'il devra montrer patte blanche pour enseigner. «Je crois que c'est légitime puisque c'est pour assurer la sécurité de nos enfants et de nos adolescents», a-t-il dit.

Mais est-ce qu'un prof qui aurait été condamné une fois pour possession de cannabis, par exemple, devrait être écarté de la profession? «Ça dépend, a-t-il nuancé. S'il s'est fait prendre quand il était au secondaire, alors qu'il y a une pression sociale pour essayer, c'est moins grave que s'il s'est fait prendre alors qu'il était à l'université. Il faut que ce soit du cas par cas.»

Or, «certaines commissions scolaires se donnent des politiques de tolérance zéro en matière de drogue», a souligné Denis Pouliot. «Compte tenu que les enseignants constituent un exemple pour les élèves, un haut niveau de probité est exigé d'eux», a-t-il ajouté.