Des projets de construction d'hôpitaux et de routes de près de 3 milliards annoncés par le gouvernement Charest n'étaient pas budgétés dans le Plan québécois des infrastructures, liste des travaux que le gouvernement a officiellement décidé de financer.

En tout, si on ajoute les dépassements de coûts et les annonces faites entre mars et octobre 2012, Québec se retrouve avec plus de 5 milliards en factures d'immobilisations pour lesquelles il n'y a aucun financement prévu dans les coffres du gouvernement.

Québec avait fixé un plafond de 44 milliards pour ses dépenses d'infrastructures en cinq ans. À la veille du dépôt du budget et des crédits de dépenses, des choix douloureux se dessinent. Selon Daniel Denis, auteur du rapport de Secor-KPMG rendu public hier par Infrastructure Québec, le gouvernement Marois «devra faire des choix, il y a trop de projets pour sa capacité de payer».

«Le gouvernement précédent a été irresponsable, il n'a pas réussi à mettre en place un processus efficace de planification, de gestion et de suivi pour contrôler les coûts», a soutenu dans un communiqué le président du Conseil du Trésor, Stéphane Bédard. Il s'engage à «préciser dans les prochains jours les orientations du gouvernement afin de corriger la situation dans les plus brefs délais». À l'interne, on confie que les projets pour lesquels les travaux ne sont pas amorcés devront faire l'objet d'un réexamen par les ministères qui auront à étoffer davantage leurs dossiers. Certains projets critiques devront se rendre jusqu'au Conseil des ministres, pour approbation.

Projets retirés en douce

L'étude commandée par Infrastructure Québec révèle qu'entre mars et juin 2012, le ministère de la Santé a retiré en douce six projets de sa liste de priorités en infrastructures. On a ainsi mis sur la voie de garage l'ajout de deux étages au centre hospitalier de St. Mary (39 millions), le centre de traumatologie de l'hôpital du Sacré-Coeur (49 millions), le service de psychiatrie de l'hôpital de Saint-Jérôme (92 millions), la phase 2 de l'Institut de cardiologie (90 millions), l'agrandissement de l'hôpital de Trois-Rivières (54 millions) et le centre neurologique de l'hôpital de l'Enfant-Jésus à Québec (80 millions).

Pour M. Denis, cette manoeuvre ne signifie pas l'abandon de ces projets. Mais le désir des politiciens de faire des annonces aura forcé ces retraits «tactiques» de la liste des projets pour dégager les sommes nécessaires à d'autres promesses toujours populaires. À l'interne, on explique que dans les mois précédant les dernières élections, la situation était particulièrement tendue au ministère de la Santé. L'ancien ministre Yves Bolduc avait multiplié les engagements, ce qui avait forcé son ministère à fréquemment revoir sa liste de priorités.

Joint hier, le Dr Bolduc a minimisé la situation. «Quand on annonce un projet, il y a des étapes de conception, des plans préliminaires, on sait qu'il n'y aura pas d'argent engagé avant deux ou trois ans parfois», a-t-il expliqué. Par exemple, on avait annoncé un hôpital de 635 millions à Vaudreuil-Soulanges, mais aucune dépense n'était prévue d'ici trois ans. D'autres projets n'ont aucun financement prévu, comme le remplacement du toit du Stade olympique (171 millions) et la reconstruction du pont Gédéon-Ouimet sur l'autoroute 15 (450 millions).

Pour KPMG, il faudrait faire davantage de travail avant de faire des annonces, ce qui permettrait en outre d'avoir des prévisions plus exactes sur le coût réel des projets. Dans son rapport, KPMG cible une vingtaine de projets importants où on constate que les coûts seront de 78% plus élevés que les budgets prévus lors des annonces.

3 milliards pour le CHUM

Le coût du projet de l'échangeur Turcot, annoncé à 1,5 milliard de dollars, a grimpé de 140%, à 3,6 milliards. La grande surprise est le CHUM: le grand hôpital francophone, qui devait coûter 953 millions, selon les prévisions de 2007, atteinte maintenant 3,1 milliards, une augmentation de 228%. Le projet de l'hôpital Sainte-Justine a grimpé de 260% et se chiffre maintenant à 929 millions. Le coût du CUSM, hôpital universitaire anglophone, est passé de 954 millions à 1,6 milliard.

Le remplacement des voitures du métro de Montréal devait coûter 900 millions; la facture sera plutôt de 1,8 milliard, le double de l'estimation initiale. Le train de l'Est, qui devait coûter 225 millions, atteint 571 millions.

Ce train de l'Est, comme l'échangeur Dorval, les hôpitaux universitaires de Montréal et le campus Bethune (de l'Institut national de santé publique), a fait l'objet «d'annonces prématurées sans estimations préliminaires des coûts». Dans tous ces cas, on constate, dans le rapport de Secor-KPMG, une «définition incomplète des besoins» et on déplore un «degré de précision insuffisant des études». Finalement, pour tous ces projets, on a oublié de prévoir une marge de manoeuvre pour les imprévus et l'inflation.

Selon Daniel Denis, le fait d'avoir précipité l'annonce de projets avant que les coûts soient précisément établis explique en bonne partie ces dérapages. Dans d'autres cas, celui de l'échangeur Turcot, par exemple, la municipalité et les groupes de pression ont exigé des travaux supplémentaires, ce qui explique les dépassements. Selon M. Denis, «beaucoup plus de travail devrait être fait en amont pour mieux évaluer le projet».

Secor-KPMG propose que tous les projets d'infrastructures soient «inscrits et encadrés» dans le Plan québécois des infrastructures. Ce plan devrait surtout être présenté dans un document spécifique, qui serait rendu public et déposé chaque année à l'Assemblée nationale.

Projets / 2007 / 2011 / variation

CHUM / 953,9 / 3132,4 / 2178,5

Échangeur Turcot / 1500 / 3610,7 / 2110,7

Remplacement des voitures du métro / 904,9 / 1855,8 / 950,9

CUSM / 954,7 / 1629,8 / 675,1

Hôpital Sainte-Justine / 258,6 / 929 / 670,4

Autoroute 30 / 716,5 / 1181,5 / 465

Train de l'Est / 225 / 571 / 346

Boulevard Notre-Dame / 500,5 / 688,5 / 188

Rond-point Dorval / 85,4 / 237,6 / 152,2

Valeur exprimée en millions de dollars.

Source: Analyse SECOR/KPMG à partir de données d'Infrastructure Québec et du Secrétariat du Conseil du Trésor