Ses réformes sur la sélection des travailleurs temporaires et des résidents permanents ou sa volonté de réformer le droit d'asile au Canada valent à Jason Kenney des éloges ou de vives critiques. Au ministère de l'Immigration depuis bientôt quatre ans, Jason Kenney veut repenser le système d'immigration du Canada. Nous avons rencontré à Ottawa l'un des hommes forts du gouvernement conservateur. Il défend avec vigueur sa politique à l'égard des réfugiés, qui pourtant sème l'inquiétude parmi les juristes et défenseurs des droits.

Q: Dans le projet de loi C-31, vous avez accepté deux changements majeurs: la détention d'un an sans comparution est maintenant ramenée à 14 jours (dans le cas d'une première audience) et à 6 mois (dans le cas d'une deuxième audience), et la résidence permanente n'est plus révocable. Pourquoi avoir reculé?

R: Le système actuel ne fonctionne pas. Il faut plusieurs années pour refouler à la frontière les demandeurs d'asile déboutés. Ça encourage les fausses demandes d'asile et il faut donc aller plus vite pour les combattre. Il faut aussi lutter contre les réseaux de passeurs, diminuer leurs occasions d'affaires. L'une des façons de le faire, c'est d'imposer une période d'attente de cinq ans [avant de pouvoir demander la résidence permanente et donc parrainer sa famille, NDLR] aux réfugiés reconnus par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), mais qui sont arrivés dans des passages clandestins. Nous savons, par nos renseignements, que les réseaux criminels font le calcul que ça vaut la peine de payer 50 000$ parce qu'ils savent que les gens pourront ramener leur famille.

Q: Mais vous dites que ce sont de vrais réfugiés et, pourtant, ils sont pénalisés.

R: C'est vrai. Mais nous n'avons pas, par la Convention [relative au statut des réfugiés, NDLR], l'obligation de donner la résidence permanente aux réfugiés.

Q: Ce sont des réformes majeures qui paraissent être taillées sur mesure pour les passagers tamouls de deux bateaux, à peine un millier de personnes.

R: Il y a quelque chose de plus profond. À la suite de l'arrivée de ces bateaux, on a vu une diminution importante de l'appui des Canadiens pour l'immigration légale au Canada. [...] Les Canadiens sont très généreux pour l'immigration, mais ce système généreux dépend de sa gestion. [...] Il faut des règles justes que tout le monde va respecter. [...] Beaucoup de critiques disent que la détention, c'est l'emprisonnement, mais la détention, ce n'est pas une prison! Les immigrants peuvent sortir à n'importe quel moment, s'ils quittent le Canada. Parlant des Tamouls, ils avaient des visas pour la Malaisie, l'Inde, ils pouvaient aller dans d'autres pays, et ne devaient pas retourner nécessairement au Sri Lanka. Dire qu'ils sont emprisonnés n'est pas juste.

Q: Mais vous croyez quand même que la détention peut décourager les demandeurs d'asile de se tourner vers le Canada?

R: Ce n'est pas la raison. On veut décourager les façons illégales d'arriver. Vous voulez venir au Canada? Il n'y a pas de problème. Mais venez comme immigrant légal. Ou allez dans les centres de l'ONU pour la protection des réfugiés.

Q: Pourquoi ne pas avoir laissé une chance au projet C-11, qui sera de fait invalidé par C-31 avant son entrée en vigueur?

R: Il y avait des réformes utiles, mais depuis, on a vu une augmentation des vagues de demandes d'asile européennes. L'an dernier, nous sommes arrivés devant une situation bizarre, où nous avons davantage de demandes d'asile de pays européens que ce que nous recevons de l'Afrique ou de l'Asie! Mais depuis l'imposition de visas pour les pays d'Europe de l'Est, on a vu que plus de 95% des demandes ont été retirées par les demandeurs eux-mêmes. Aucune des demandes de l'Europe n'est allée jusque devant la CISR. Les gens disent qu'ils viennent au Canada parce qu'ils peuvent recevoir tous les bénéfices sociaux au Canada, et qu'on le leur permet. Ce sont beaucoup de choses que les Canadiens eux-mêmes ne reçoivent pas.