Le député indépendant Pierre Curzi a déposé un projet de loi privé visant à soustraire de l'application de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles un terrain de 27 hectares situé à Saint-Jean-Baptiste, en Montérégie. Un parcours de golf de neuf trous aménagé illégalement par le Domaine de Rouville au début des années 80 se trouve sur ce terrain.

Or, depuis plus de 30 ans, la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) a systématiquement refusé d'autoriser cet agrandissement du golf du Domaine de Rouville, des décisions qui ont été confirmées par des tribunaux supérieurs (voir encadré).

Le projet de loi 210, déposé par le député de Borduas au début du mois de mai, permettrait «l'exploitation d'un parcours de golf» sur ce terrain situé en zone agricole, «malgré la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles».

L'Union des producteurs agricoles (UPA) s'oppose farouchement à l'adoption du projet de loi. «Depuis le début, ces gens ont agi dans l'illégalité, déplore Yvon Lambert, président de l'UPA de la Vallée du Richelieu. Ils ont persisté en se disant: «un jour ou l'autre, on va finir par l'avoir». Et là, ils en sont rendus à l'Assemblée nationale pour annuler toutes les décisions qui ont été prises jusqu'à maintenant. Ça revient à cautionner l'illégalité.»

La région de la Vallée du Richelieu présente l'un des meilleurs taux d'ensoleillement au Québec, de même que des terres d'une grande fertilité. Le syndicat des agriculteurs trouve inadmissible qu'on puisse allouer à ces terres une autre vocation que l'agriculture.

Contourner la loi

Pierre Curzi, qui a déjà annoncé qu'il ne sera pas candidat aux prochaines élections, estime que le projet de loi qu'il parraine n'entre pas en contradiction avec la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, puisque la terre resterait zonée verte. «[Le projet de loi stipule que] la terre ne pourra pas être utilisée pour autre chose que du golf, et si jamais on cessait d'y faire du golf, la terre redeviendrait agricole», explique le député, lui-même résidant de Saint-Jean-Baptiste.

M. Curzi, qui avait claqué la porte du Parti québécois l'an dernier parce qu'il était en désaccord avec le projet de loi 204, qui plaçait à l'abri de toute poursuite judiciaire l'entente entre Québecor et la Ville de Québec concernant le nouvel amphithéâtre, rejette tout parallèle entre les deux situations. «Le projet de loi 204 touchait au droit d'un individu d'avoir accès à de l'information [publique]. Là, il ne s'agit pas de ça, il s'agit [de permettre] un usage spécifique sur un territoire qui n'est pas dézoné.»

La MRC favorable

La Municipalité régionale de comté (MRC) de la Vallée-du-Richelieu approuve la démarche. L'agrandissement du golf est d'ailleurs conforme à son schéma d'aménagement. «Ce golf-là est important parce que, économiquement parlant, ce sont deux millions de dollars juste en salaires, explique le préfet Gilles Plante. La MRC n'est pas en faveur de permettre d'autres golfs sur des terres agricoles, mais c'est important de régulariser cette situation-là.»

Luc Robillard, un des copropriétaires du Domaine de Rouville, préfère ne pas commenter publiquement le dossier. Il a néanmoins reçu La Presse, à qui il a fait visiter le terrain de golf.

La tradition veut que les députés de l'Assemblée nationale votent sur les projets de loi privés au cours des derniers jours de la session parlementaire, qui doit se terminer le 15 juin cette année. C'est toutefois le gouvernement qui décide du moment où les projets de loi sont appelés en commission parlementaire, et rien ne l'oblige à le faire au cours de cette session.

Une vieux litige

1978:Entrée en vigueur de la Loi sur la protection du territoire agricole (devenue depuis la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles).

1979: Le Domaine de Rouville demande l'autorisation d'exploiter un terrain de golf sur trois lots désignés comme étant dans une zone agricole (les travaux avaient été entamés avant l'entrée en vigueur de la loi); la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) accepte la demande pour deux des trois lots, mais la refuse pour celui portant le numéro 167.

1983: Une nouvelle requête pour agrandir le terrain de golf sur le lot 167 est refusée par la CPTAQ (non essentiel).

1984: Aménagement d'un parcours de golf sur le lot 167.

1986: La Cour supérieure ordonne au Domaine de Rouville de cesser l'exploitation du parcours de golf du lot 167.

18 mars 1996: La Cour d'appel maintient le jugement de 1986.

22 mars 1996: Dépôt d'une nouvelle demande d'exploitation d'un terrain de golf sur le lot 167.

2 juillet 1996: Nouveau refus de la CPTAQ.

1998: Rejet par la CPTAQ d'une demande de la municipalité de Saint-Jean-Baptiste visant à exclure de la zone agricole une série de lots, dont celui portant le numéro 167.

2004: Maintien par la Cour du Québec de la décision de la CPTAQ.

2012: Dépôt d'un projet de loi privé pour permettre l'exploitation d'un parcours de golf sur le lot 167 (portant le numéro 4 149 079 depuis la réforme cadastrale).