Le printemps dernier, un promoteur de Laval a réussi à vendre à la Ville de Saint-Jérôme un grand terrain rocailleux pour 2,77$ le pied carré, alors qu'il l'avait payé 0,38$ deux ans plus tôt.

La transaction a été réalisée dans le cadre de l'aménagement du Parc Multisports, un projet maintenant en chantier, à l'est de la ville. Une jolie petite forêt, sillonnée de sentiers et de ruisseaux, a été rasée pour faire place à des terrains de soccer, à un aréna contenant deux patinoires et à un stationnement.

L'ancien maire de la ville, Jean-Claude Hébert, affirme que les transactions entourant la création de ce parc constituent un véritable «scandale financier». «C'est évident que la Ville a payé beaucoup trop cher. Qu'est-ce qui justifie d'avoir payé autant? Le dossier doit être déféré aux autorités compétentes.»

Au total, le parc aura une superficie de plus de 1 million de pieds carrés. Deux transactions en particulier étonnent l'ancien maire.

La première est la vente à la Ville d'un terrain de 400 000 pi2, à 2,77$ le pied carré, par la Société en commandite Le Boisé, de Laval.

En février 2008, cette société l'avait payé 0,38$ le pied carré, soit sept fois moins cher, selon des documents publics. En deux ans, le prix du terrain est donc passé de 152 000$ à 1,1 million de dollars.

Plus précisément, la Ville l'a acquis en échangeant un ensemble de petits terrains situés en périphérie du parc, à proximité des rues et des réseaux d'eau et d'égout. Le Boisé compte y construire des maisons.

L'actuel maire de Saint-Jérôme, Marc Gascon, a dit à La Presse que la Ville avait suivi les recommandations d'une firme d'évaluateurs. Or, cette firme a établi le prix des terrains boisés destinés au parc à 1,50$/pi2, et non à 2,77$, selon le rapport qu'elle a remis à la Ville.

Le vice-président de la société Le Boisé, Jacques Julien, ne voit rien d'anormal à la situation. «La transaction a fait l'affaire des deux parties, point à la ligne. C'est notre métier de créer une plus-value. À partir du moment où on a vendu à la Ville et qu'ils vont en faire un aréna régional, ou peu importe, c'est notre prix. La Ville aurait pu nous exproprier, mais ce n'est à l'avantage d'aucune des parties d'aller devant le tribunal.»

Même le prix de 1,50$ fixé par la firme d'évaluateurs fait tiquer l'ancien maire Hébert. C'est le prix que la Ville a payé pour un autre terrain, de 545 750 pi2, pour compléter son parc. Cette deuxième transaction a été faite avec une société à numéros dirigée par le promoteur Georges Dayan.

Pour arriver à ce taux de 1,50$, la firme d'évaluateurs a examiné le prix de vente d'autres terrains dans le même secteur. Elle a retenu trois transactions, à des prix oscillant entre 1,20$ et 1,61$ le pied carré.

L'évaluateur en a toutefois écarté trois autres dont le prix variait entre 0,38$ et 0,71$. Dans sa lettre d'opinion, il indique que ces ventes ont été faites dans les règles, sans aucune «contrainte particulière», mais que leurs prix étaient en bas du marché.

La société gérée par M. Dayan porte le numéro 119319 Canada. Elle est détenue par la femme d'affaires Liliane Trafikant. Il a été impossible de lui parler. Toutefois, son conjoint a dit qu'il n'était pas au courant de cette transaction de plusieurs centaines de milliers de dollars. «Il doit y avoir erreur sur la personne», a-t-il suggéré.

Le maire Marc Gascon ne peut expliquer les écarts de prix. «Je signe à la suite des recommandations de l'évaluateur et du vote du conseil municipal. Il faut croire qu'il s'agissait de la meilleure évaluation qu'en ont faite les fonctionnaires.»