Un branle-bas de combat majeur agite le milieu de l'hébergement pour aînés à Montréal. L'Agence de la santé et des services sociaux (ASSS) de Montréal accorde sans règle précise des contrats de places en ressources intermédiaires à des promoteurs privés, a constaté La Presse.

Dans son Plan d'action pour l'amélioration des services aux personnes âgées en perte d'autonomie 2005-2010, le gouvernement libéral a mis un frein à l'ouverture de centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) pour favoriser la création de «ressources intermédiaires».

Le gouvernement libéral avait promis de créer 1325 places en ressources intermédiaires à Montréal d'ici à 2013. Mais seulement 661 sont actuellement fonctionnelles. Pour accélérer le processus, l'ASSS de Montréal accorde dans des délais courts et sans règles précises des contrats à des promoteurs privés qui en font la demande.

Une ressource intermédiaire est une résidence privée dont le propriétaire fournit aux personnes âgées logement, nourriture, services ménagers et activités. Les soins infirmiers et médicaux sont quant à eux assurés par les centres de santé et de services sociaux (CSSS).

Alors que les CHSLD n'accueillent plus que les personnes en lourde perte d'autonomie, les ressources intermédiaires reçoivent des personnes semi-autonomes, c'est-à-dire qui ne nécessitent pas plus de trois heures de soins par jour.

Pour chaque locataire, les CSSS versent en moyenne 30 000$ par année au propriétaire de la résidence. Les contrats durent généralement 10 ans. Puisque les ressources intermédiaires accueillent entre 40 et 96 personnes, c'est dire que les contrats varient de 12 à près de 30 millions de dollars.

Qui obtient les contrats?

Comment un promoteur peut-il décrocher un contrat de ressource intermédiaire? Obtenir une réponse à cette question n'est pas facile.

Au ministère de la Santé, on explique que le recrutement des ressources intermédiaires se fait soit par appel de projets (pour un nombre restreint de places), soit par appel d'offres (pour des besoins plus amples). «Qu'il s'agisse d'un appel de projets ou d'un appel d'offres, l'achat de services auprès d'une ressource intermédiaire implique l'utilisation d'une grille de critères objectifs (guide), la mobilisation d'un comité pour évaluer les avis d'intérêt ou soumissions», écrit la porte-parole du Ministère, Nathalie Lévesque.

La porte-parole de l'Agence de Montréal, Chantal Huot, affirme que ce sont les CSSS qui choisissent les projets. «Ils nous soumettent ensuite le dossier pour que nous l'approuvions. Mais les choix sont faits par les CSSS», a expliqué Mme Huot, qui a suggéré à La Presse de s'adresser à un CSSS pour obtenir plus d'explications.

Le directeur général du CSSS Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent, Daniel Corbeil, affirme pour sa part qu'on ne lance pas toujours un appel d'offres quand vient le temps de choisir une ressource intermédiaire. «Pour les premières ressources que nous avons ouvertes sur le territoire, nous avons publié un appel de projets dans le journal. Différents promoteurs ont soumis des projets. Nous en avons choisi un en nous basant sur une liste de critères», explique M. Corbeil.

Le Guide de mise en oeuvre d'une ressource intermédiaire énumère les critères à respecter. M. Corbeil utilise ce guide pour analyser les propositions des promoteurs.

Il mentionne toutefois que les contrats ne sont pas toujours attribués à la suite d'un appel de projets. «Dernièrement, un promoteur m'a proposé de construire deux ressources intermédiaires sur le boulevard de l'Acadie. Ce promoteur possède déjà une ressource intermédiaire dans un autre CSSS à Montréal. Le projet était intéressant et respectait les critères. On l'a approuvé sans appel de projets», résume M. Corbeil.

La directrice générale de l'Association des ressources intermédiaires d'hébergement du Québec, Martine Castonguay, reconnaît qu'il n'y a pas systématiquement d'appel de projets et qu'il n'y a «pas beaucoup de règles» entourant le choix des promoteurs. «On demande à être plus informé de la mise sur pied des ressources intermédiaires à Montréal, car on ne l'est pas vraiment actuellement», dit-elle.

Retard à rattraper

Pour parvenir à ouvrir 1325 places en ressources intermédiaires pour 2013, l'Agence de Montréal doit procéder en mode accéléré, selon Mme Castonguay. «Puisque la demande est forte, il est possible que, si un promoteur arrive avec un beau projet, les établissements l'approuvent rapidement», note-t-elle.

M. Corbeil confirme que la mise sur pied de ressources intermédiaires a pris du retard à Montréal et qu'il faut donc presser le pas.

Par exemple, même si M. Corbeil a déjà atteint son quota de ressources intermédiaires pour 2010, l'Agence lui a permis d'aller de l'avant avec les deux projets du boulevard de l'Acadie. «Plusieurs ressources intermédiaires du plan 2005-2010 ne sont pas encore construites à Montréal. L'Agence accepte donc qu'on prenne de l'avance ici», note M. Corbeil.

Spécialiste des questions de personnes âgées à la Confédération des syndicats nationaux, Yves Lévesque estime que l'achat de places en ressources intermédiaires à Montréal se déroule «dans l'anarchie la plus totale». «Comme dans le cas des garderies privées, il n'y a aucune règle d'attribution des contrats, dit-il. Ça se passe d'une façon scandaleuse alors que des sommes importantes sont en jeu.»

La porte-parole de l'opposition officielle en la matière, Lisette Lapointe, juge qu'il est inacceptable que les règles d'attribution de contrats en ressources intermédiaires soient si floues. «Le déroulement actuel est inadmissible et inquiétant», dit-elle.

Mme Lapointe s'inquiète aussi du retard pris dans la mise en place des ressources intermédiaires. «La transition des libéraux vers les ressources intermédiaires est un échec», commente-t-elle.

La porte-parole de l'Agence de Montréal, Chantal Huot, assure que le processus va bon train et que les 1325 places prévues seront prêtes en 2013.

Photo Alain Roberge, La Presse

Une place dans une ressource intermédiaire coûte environ 30 000$ par année au gouvernement.

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Qu'est-ce qu'une ressource intermédiaire pour personnes âgées ? 

Une ressource intermédiaire est une résidence privée qui fournit aux personnes âgées le logement et la nourriture, l'assistance pour l'hygiène corporelle, des services d'entretien ménager et des activités. Les soins infirmiers et médicaux sont assurés par le centre de santé et de services sociaux (CSSS) du secteur. Seules les personnes âgées nécessitant moins de trois heures de soins par jour sont acceptées dans ces établissements, qui se veulent une solution de rechange aux centres d'hébergement publics.

Un lit dans un centre d'hébergement coûte en moyenne 50 000$ par année au gouvernement; il en coûte 30 000$ dans une ressource intermédiaire.