Dans son petit bureau de l'école primaire Teston Village que fréquentent les musulmans ahmadis, le directeur David Nimmo nous montre un guide de 59 pages intitulé Accommodation of Religious Requirements, Practices and Observances.

«La région de York (au nord de Toronto) est l'une des plus multiculturelles au pays, explique-t-il. Alors notre commission scolaire a mis au point ces directives il y a plusieurs années pour nous aider à mieux gérer les besoins des différentes communautés religieuses.»

Les 162 écoles primaires et 31 écoles secondaires de la Commission suivent ce guide. Il est exhaustif et très précis. La majorité des religions et cultes y sont abordés.

On apprend que les rastafaris peuvent être exemptés de l'hymne national, que les témoins de Jéhovah ne doivent pas célébrer la fête des Mères ou la Saint-Valentin et que les adventistes ne reconnaissent pas la célébration païenne de l'Halloween. L'horaire de la prière des musulmans est précisé pour chaque jour de chaque mois. Le 8 mars, c'est à 12h28 et, le 24 août, à 13h20. On indique aussi que ces jeunes croyants ne doivent pas se dévêtir dans le vestiaire devant leurs camarades et que le mélange à farine des biscuits ne doit pas contenir de dérivés de produits animaliers. Par exemple, à Teston Village, il n'y a pas de carrés au Rice Krispies.

«Il s'agit de consignes, non contraignantes légalement. Mais on s'attend quand même à ce qu'elles soient suivies», explique Ross Virgo, porte-parole du York District School Board.

Au cours de natation de troisième année de l'école Teston, un rideau sépare les garçons des filles. «C'est un bon compromis, croit M. Virgo. Tous peuvent apprendre à nager, et on ne viole les droits de personne. Je n'ai pas entendu de parents s'en plaindre.»

Ce genre de question fait moins de vagues en Ontario qu'au Québec, à en juger par le sociologue Carl James, directeur du York Center for Education and Community. Lui non plus n'y voit pas de mal. «Le visage du Canada change, il faut apprendre à gérer cette nouvelle diversité. Si le multiculturalisme est un idéal, et je pense que c'en est un, alors il faut agir en conséquence.»

Chemise afghane et Ke$ha

À partir de la mosquée de Peace Village à Maple, il faut marcher seulement 500 m pour se rendre à l'école Teston Village. Seul un terrain vague la sépare des maisons de la communauté ahmadie.

Malgré notre arrivée à l'improviste, le directeur Nimmo nous offre avec plaisir une visite guidée de son école.

«C'est très multiculturel ici, explique-t-il. Environ 80% des élèves sont ahmadis. Un enfant reste un enfant mais, dans l'ensemble, il y a plus de discipline ici que dans n'importe quelle autre école où j'ai travaillé auparavant.»

Certains jeunes ahmadis viennent de familles très instruites et maîtrisent déjà plusieurs langues. D'autres ont des parents qui baragouinent à peine l'anglais. «Mais dans l'ensemble, nos résultats restent supérieurs à ceux des autres écoles», assure-t-il.

Au bout du couloir, une dizaine d'élèves jouent des percussions. La moitié des filles sont voilées. Leur professeur, un jeune aux allures de hippie randonneur, donne la cadence. «Comme les ahmadis ne cautionnent pas les instruments à vent, on n'en enseigne pas dans la classe, nous glisse M. Nimmo à l'oreille. Et de toute façon, notre prof n'aime pas trop la flûte...»

Dans la classe d'à côté, une enseignante musulmane sunnite nous explique ensuite pourquoi elle préfère enlever son voile dans la classe. «Je ne veux pas déranger les élèves avec mes croyances à moi», indique-t-elle.

Par hasard, notre visite coïncide avec le défilé de mode de l'école. On y assiste au gymnase. Une fille de 10 ou 11 ans présente une robe traditionnelle afghane rouge vif pendant qu'on entend le dernier tube pop-nanane sexuelle de Ke$ha. Deux cultures se rencontrent.

Le côté privé

Dans le réseau privé, certaines écoles religieuses sont plus insulaires. On le constate en pénétrant sur le territoire de l'As-Sadiq Islamic School, quelques kilomètres plus loin.

Sur le grillage de la cour d'école, une pancarte met en garde les jeunes enfants: «Proper islamic clothing only». Ici, le hijab est obligatoire pour les filles de 8 ans et plus.

Au milieu de l'immense stationnement se dresse la nouvelle école, construite au coût de 30 millions de dollars. L'intérieur ressemble à un hôtel trois étoiles de Dubaï. Des grandes poutres couleur marbre et des palmiers jalonnent le long hall, éclairé par des puits de lumière.

Des chaussures sont empilées devant de grandes portes closes. C'est l'heure de la prière pour les élèves, tous chiites. Quelques non-musulmans donnent les cours du programme obligatoire, qui respecte les critères du ministère de l'Éducation.

On se présente dans le bureau de la direction, décoré par des affiches de l'ayatollah Khomeini. Avant d'accepter notre demande d'interview, le directeur Gordon Hum, chrétien d'origine chinoise, appelle son supérieur. On entend une partie de la conversation. «Non, je ne peux pas? Même pas possible de donner un numéro de téléphone?» Avant de nous rediriger vers le bureau de l'imam, il placote un peu.

Il parle comme s'il participait à un concours de tolérance. «Je ne suis pas croyant, mais je prie avec les jeunes pour leur donner le bon exemple», se vante-t-il.

L'imam Rizvi résume simplement le projet de l'école. «Nous ne nuisons à personne. Le Canada garantit la liberté de religion, et nous exerçons notre droit en bon Canadiens. On veut respecter nos croyances.»