Le tombeau de Kateri Tekakwitha trône à l'intérieur de l'église de Saint-François-Xavier de Kahnawake. Un petit panier a été déposé à côté, dans lequel des fidèles viennent régulièrement déposer des demandes de guérison, de bonne santé ou tout simplement de bonne fortune.

Plus de trois siècles après sa mort (1680), le «lys des Mohawks» continue de faire l'objet d'un culte international, résultat d'une vaste campagne de promotion et de diffusion de la part des jésuites, qui ont été les premiers à écrire son hagiographie et qui continuent de pousser sa cause à Rome.

Mais sa canonisation tarde et certains s'interrogent. Jean-Paul II a béatifié Kateri en 1980, deux ans avant le frère André, qui sera pourtant canonisé avant elle. De quoi attiser l'impatience et l'incompréhension de son fan club.

«Nous avons été très déçus d'apprendre qu'elle ne faisait pas partie du groupe qui sera canonisé en octobre, admet soeur Kateri Mitchell, directrice de la Tekakwitha Conference, un organisme américain voué à la cause de la bienheureuse. Nous ne savons pas ce que le Vatican a prévu, mais nous prions pour que justice soit faite et espérons encore pour l'année prochaine.»

Pour être canonisée, Tekakwitha a besoin d'un seul miracle certifié. Or, il y a quatre ans, un jeune garçon de Seattle a mystérieusement survécu à la bactérie mangeuse de chair après d'intenses prières faites à Kateri.

Cette «miraculeuse guérison» est au coeur du dossier qui a été officiellement soumis à la Congrégation pour la cause des saints, le 10 juillet dernier, par Mgr Paul Lenz, vice-postulateur pour la cause de Kateri aux États-Unis. Le problème, c'est que, depuis ce jour, le Vatican ne lui a pas donné de nouvelles.

Mgr Lenz avoue être dans le flou. Mais il garde espoir. Selon lui, la cause serait simplement «à l'étude». «Nous n'irons certainement pas frapper à la porte du Vatican en vociférant, résume-t-il. Tout ce que nous pouvons faire, c'est prier et attendre.»

Un bras de fer

Ce n'est pas d'hier que le dossier Kateri piétine. Après sa béatification, plusieurs considéraient sa canonisation comme une formalité. Mais en dépit d'un lobbyisme intensif, l'affaire en est restée là.

Toutes sortes d'hypothèses ont été lancées pour expliquer cette «injustice». On a évoqué le racisme, le sexisme et des miracles qui ne tenaient pas la route.

D'autres croient que le dossier aurait avancé plus vite si Kateri n'avait pas été l'enjeu d'un bras de fer politique entre les Églises catholiques canadienne et américaine.

Il faut savoir que les deux institutions revendiquent, chacune de son côté, la canonisation de la «sainte mohawk».

Dès la fin du XIXe siècle, en plein élan nationaliste, l'Église catholique américaine a récupéré ce personnage d'Amérindienne mystique, arguant qu'elle était née à Auriesville, dans l'État de New York. Cette opération concertée a mené à la fondation de la Conférence Tekakwitha à Great Falls, au Montana, en 1939.

Il n'en fallait pas plus pour que l'Église catholique canadienne s'y mette à son tour, donnant à cette histoire des allures de course entre les deux pays. À Kahnawake, où Tekakwitha a rendu son dernier souffle, le Centre Kateri oeuvre depuis 1949 à faire avancer la cause.

Vice-postulateur du côté canadien depuis 2008, le diacre Ron Boyer prétend qu'il y a deux «guérisons» à son dossier. Mais, à son grand désespoir, Jacques Berthelet, l'évêque du diocèse de Longueuil (auquel appartient la paroisse Saint-François-Xavier de Kahnawake) n'a toujours pas lancé la machine. «Appelez-le donc pour voir où c'en est», suggère M. Boyer...

Vérification faite auprès de Jacques Berthelet, lesdites guérisons manquaient encore de «Miracle Whip». «Ce n'était pas suffisant, résume l'évêque. Dans un des cas, nous n'avons pas eu la collaboration des médecins. On ne pouvait pas aller plus loin.»

Déjà sainte

Il est entendu que les saints appartiennent généralement au pays où ils sont morts. Dans le cas de Tekakwitha, morte avant même la naissance officielle du Canada et des États-Unis, l'affaire devient moins limpide.

Mais il est à prévoir que, si le dossier de Mgr Lenz est accepté, Kateri deviendra officiellement la 11e sainte américaine.

Ce scénario n'est pas sans préoccuper la petite équipe du Kateri Center, qui verrait 60 ans d'efforts partir en fumée de calumet. Certains, comme l'immuable Albert Lazare, se dévouent à la cause depuis 1957...

Et puis il y a la question du tombeau. Les Américains le réclameront-ils? La possibilité de transférer les restes de Kateri avait été évoquée lors de la visite de Jean-Paul II à Toronto en 2002. Les Canadiens ont résisté, craignant de ne plus jamais les revoir. Interrogé à ce sujet, Mgr Paul Lenz se veut toutefois rassurant et jure que «le tombeau restera à Kahnawake».

Encore faut-il que Kateri gagne sa cause, ce qui est loin d'être chose faite. Il faudra un dossier en béton pour que Benoît XVI lui attribue une auréole. Il est de notoriété publique que Ratzinger a la canonisation beaucoup moins facile que son prédécesseur, qui était en outre particulièrement favorable aux causes plus exotiques.

Mais au final, peu importe, juge Allan Greer, professeur d'histoire à l'Université McGill et auteur du livre Catherine Tekakwitha et les Jésuites (Boréal). Exploitée par l'Église catholique à travers des livres, des magazines, des lieux de pèlerinage, des sites web et une iconographie abondante, la Mohawk bienheureuse fait d'ores et déjà partie intégrante de la culture populaire et religieuse.

«Les gens la vénèrent comme si elle avait déjà été canonisée, conclut M. Greer. Alors dans un certain sens, c'est comme si elle était déjà sainte....»