Les partis politiques possèdent une telle masse de données personnelles sur les électeurs qu'ils mettent en cause le « caractère confidentiel et secret du vote en démocratie », indique un document interne de la Commission d'accès à l'information (CAI), obtenu par La Presse.

Le document d'une quinzaine de pages, obtenu grâce à la Loi sur l'accès à l'information, confirme que la technologie permet aux partis de prédire les intentions de vote d'une personne avec un degré de précision « assez élevé ».

Ce faisant, ils mettent en cause un fondement capital de la démocratie, à savoir le caractère confidentiel du vote des citoyens.

« Si les niveaux de précision sont à ce point exacts concernant les intentions de vote d'une personne à partir d'un profil construit en couplant plusieurs renseignements personnels la concernant, que doit-on retenir du caractère confidentiel et secret du vote en démocratie ? », souligne l'analyse interne de la CAI.

En entrevue, la présidente de la CAI, Diane Poitras, presse le gouvernement Legault d'encadrer l'usage des données personnelles par les partis politiques. Ce faisant, elle appuie le directeur général des élections, Pierre Reid, qui réclame une telle mesure depuis 2013.

« On collecte les données à l'insu des citoyens »

Me Poitras n'a aucune preuve que la Coalition avenir Québec, le Parti libéral, le Parti québécois ou Québec solidaire se livrent à des pratiques discutables. Il n'y a là rien de surprenant : elle n'a pas le pouvoir d'enquêter sur eux. Aucune loi ne précise quels renseignements ils ont le droit de recueillir sur les Québécois, comment ils peuvent le faire ou quel usage ils peuvent en faire.

En revanche, des enquêtes publiques en Colombie-Britannique et au Royaume-Uni ont soulevé de sérieuses questions, note Me Poitras.

Dans la province de l'Ouest, des opérateurs de certains partis ont noté l'origine ethnique et la religion de certains citoyens lors du porte-à-porte. Ces données « très sensibles » peuvent mener à « une certaine forme de profilage », estime Me Poitras.

« On collecte et on utilise les données à l'insu des citoyens, affirme Me Poitras. Tous les citoyens se doutent que les partis politiques ont des renseignements personnels, mais je pense qu'ils ne réalisent pas l'ampleur de la quantité des renseignements que certains partis politiques à travers le monde peuvent détenir, et l'usage qui en est fait. »

Les partis politiques au Québec opèrent des banques de données qui croisent les informations de la liste électorale avec des données socio-économiques. Ils peuvent ainsi créer des indices de sympathie des électeurs à leur endroit grâce à un procédé qu'ils gardent secret.

Me Poitras ne voit rien de répréhensible à ce que les partis identifient leurs partisans et écoutent les préoccupations des électeurs. Elle suggère toutefois que leur utilisation des données personnelles soit encadrée par une loi, comme c'est le cas pour l'entreprise privée, et qu'un organisme indépendant puisse surveiller leurs pratiques.

« Loin de nous l'idée de penser que ce n'est pas légitime pour un parti politique de détenir des renseignements personnels afin de communiquer avec ses électeurs. Le problème, c'est l'opacité, la non-transparence de ces pratiques. » - Diane Poitras, présidente de la Commission d'accès à l'information

TVA a rapporté lundi que la Coalition avenir Québec avait obtenu des renseignements de plusieurs centaines de Québécois par leur compte Facebook. Lors d'une entrevue séparée à La Presse l'été dernier, la directrice générale du parti avait pourtant juré ne pas recueillir de renseignements sur l'électorat sur les réseaux sociaux.

Le Parti québécois a lui aussi utilisé Facebook pour permettre à ses bénévoles de se connecter sur le site. Le parti assure toutefois qu'il n'a jamais utilisé cette fonctionnalité pour recueillir des données personnelles.

La semaine dernière, le Directeur général des élections du Québec a publié un nouveau rapport qui révèle qu'une écrasante majorité de Québécois souhaite que Québec réglemente l'utilisation des données personnelles par les partis politiques.

Le gouvernement Legault et tous les partis de l'opposition se sont montrés ouverts au fait de donner suite à ses recommandations.

- Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse