Un affrontement est à prévoir entre le gouvernement Legault et les omnipraticiens. La ministre de la Santé, Danielle McCann, menace de légiférer pour permettre aux infirmières praticiennes spécialisées (IPS) de procéder au diagnostic des patients. Mais, pour les médecins, ce diagnostic «est un acte médical» qu'il n'est pas question de céder à qui que ce soit.

Le Québec est la seule province où ces infirmières, après sept années d'études, ne peuvent pas poser un diagnostic. Pour la ministre McCann, «on a d'énormes besoins, on a 500 000 personnes qui attendent sur un guichet pour avoir accès aux soins. On préférerait procéder par négociation, par règlement après entente avec le Collège des médecins, mais si nécessaire, on va légiférer, c'est certain. C'est urgent...», a-t-elle soutenu dans un entretien à La Presse. À défaut d'entente, elle compte «certainement déposer un projet de loi cette session, sinon à l'automne».

Le président du Collège des médecins du Québec, Mauril Gaudreault, observe que des discussions sont en cours avec le ministère de la Santé. Actuellement, si une infirmière praticienne spécialisée évalue un patient, ce diagnostic doit être entériné par un médecin dans les 30 jours. Pour le Collège des médecins, ce délai de 30 jours pourrait être prolongé. Pour Mme McCann, cela ne suffira pas. «C'est un pas dans la bonne direction, mais ce n'est pas suffisant.»

«Il ne faut pas oublier que tous ces gestes de référence, cela peut prendre le quart du temps des médecins. Imaginez qu'on dégage cela comme ils l'ont fait dans les autres provinces, c'est une marge de manoeuvre qu'on se donne!»

Rémunération des médecins

La ministre de la Santé insiste sur le fait que Québec compte aussi revoir la rémunération des médecins. Pas pour la réduire, mais pour tenir compte d'actes non rétribués jusqu'ici, comme donner des résultats par téléphone ou répondre par courriel à un patient. «Il y a des choses qui peuvent être faites par téléphone : transmettre des résultats négatifs ou donner des conseils. Au Nouveau-Brunswick, c'est 50% des actes des médecins qui sont faits par téléphone ou internet. Même si on atteignait 30%, imaginez ce qu'on libère dans le système!», observe-t-elle.

Pour Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, «on part avec le principe que le diagnostic est un acte médical. On ne doit pas perdre de vue que les patients qui sont suivis par des IPS le sont aussi par des médecins de famille».

Pour lui, «peu importe les ouvertures, il ne faut pas deux systèmes en parallèle, les médecins d'un côté et les IPS de l'autre», a-t-il expliqué à La Presse. «Il ne faut pas penser que poser un diagnostic est quelque chose de facile. C'est quelque chose de médical, et il faut se demander jusqu'où on peut aller.»

«Le médecin reste le plus compétent»

Selon le président du Collège des médecins, «le médecin reste le plus compétent pour établir un diagnostic». Il s'est entretenu avec Mme McCann la semaine dernière. Le Collège discutera vendredi prochain à sa réunion du conseil d'administration de propositions pour «faciliter les choses», a dit Mauril Gaudreault, sans toutefois céder à la proposition de la ministre.

«On ne va pas jusqu'à permettre qu'un autre professionnel que le médecin soit habilité à porter un diagnostic. On ne va pas jusque-là! L'infirmière pourra s'occuper du traitement, du suivi, etc.»

Du côté de l'Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec, on applaudit aux orientations de la ministre McCann. «Actuellement, il y a un dédoublement des rendez-vous médicaux pour les problèmes de santé chroniques, étant donné que chaque patient vu par une IPS doit aussi être vu par un médecin. Ça crée un engorgement, explique la présidente, Christine Laliberté. Ce deuxième rendez-vous, si on avait la possibilité de poser un diagnostic, n'aurait plus lieu d'être. On libérerait ainsi les médecins, qui auraient davantage de temps pour prendre en charge des cas plus complexes.»

Opinions favorables à Québec

Le député libéral André Fortin, critique de son parti pour le dossier de la santé, affirme que «du point de vue "patient", qu'une infirmière puisse faire le diagnostic, c'est positif. On partage cet objectif, il faut simplifier la première ligne». Reste à voir si Mme McCann, qui promet d'y arriver par consensus, pourra éviter de légiférer. Le diagnostic par les infirmières «faisait partie de notre plateforme électorale» souligne-t-il.

Du côté du Parti québécois, Sylvain Gaudreault, critique de son parti en matière de santé, était aussi heureux des orientations annoncées par Québec. «Nous, ça fait longtemps qu'on plaide pour ça. Ç'a été un élément central, sinon l'élément au coeur de nos engagements électoraux en matière de santé.» L'opposition va «suivre à la trace» la ministre à ce sujet.

À Québec solidaire, on applaudit également les orientations mises de l'avant par le gouvernement caquiste. «Ça fait longtemps que Québec solidaire réclame une délégation d'actes aux infirmières praticiennes spécialisées afin d'améliorer l'organisation des services en santé. Je suis satisfait du travail que souhaite entreprendre la ministre McCann sur cette question, mais il ne suffit pas de déléguer plus d'actes», de prévenir Sol Zannetti, responsable du dossier de la santé.

Pour lui, «il y a des intérêts corporatistes qui nuisent à l'efficacité du système de santé au Québec, mais aussi à la santé des professionnels de la santé et des médecins. Présentement, les médecins n'ont pas intérêt financièrement à perdre des actes au profit d'une meilleure efficacité. Cette résistance doit être supprimée», ajoute-t-il.