Pierre Karl Péladeau veut faire déclarer inconstitutionnel un article de la Loi électorale pour échapper à un constat d'infraction que lui a envoyé le Directeur général des élections (DGE) l'an dernier. C'est une affaire de gros sous pour le patron de Québecor : s'il est déclaré coupable, son entreprise risque d'être privée de tout contrat public pour une durée de cinq ans.

Ce seraient « des conséquences néfastes et disproportionnées », estime son avocat, Me Giuseppe Battista, dans un document daté du 28 novembre et déposé en cour. Il s'agit d'une « demande pour faire déclarer inopérant et inconstitutionnel l'alinéa 4 de l'article 127.15 de la Loi électorale ».

Cette affaire concerne la dette de campagne de M. Péladeau découlant de la course à la direction du Parti québécois (PQ) qu'il a remportée en mai 2015. Il a démissionné de son poste de chef un an plus tard « pour des raisons personnelles et familiales », « subitement et contre son gré », fait valoir son avocat.

Or, il n'avait pas encore remboursé totalement sa dette de campagne - un prêt contracté auprès de la Caisse Desjardins de la Rivière-du-Nord. Il avait un solde de 137 000 $. Il avait jusqu'au 15 mai dernier pour l'éponger, mais uniquement en amassant des dons individuels plafonnés à 500 $ comme le prévoit la Loi électorale. Il ne l'a pas fait.

Or, selon l'article 127.15, « tout solde dû sur une réclamation ou un prêt à l'expiration de la période de 36 mois suivant le jour du scrutin est réputé être une contribution dont seul le candidat est imputable ».

Comme une contribution ne peut être supérieure à 500 $, le DGE conclut alors que le candidat a fait un don illégal à sa propre campagne.

C'est pourquoi il a envoyé un constat d'infraction à M. Péladeau en juin dernier et lui réclame l'amende maximale prévue à la loi dans pareille situation, 20 000 $. Le chien de garde du système électoral lui réclame en plus des frais de 2600 $ et une contribution de 5000 $. L'ex-chef du PQ a remboursé le prêt de 137 000 $ au moyen de ses propres fonds, comme le rappelle son avocat.

Une « atteinte à la présomption d'innocence »

Pierre Karl Péladeau conteste la constitutionnalité de l'article 127.15 en affirmant que celui-ci « porte atteinte à la présomption d'innocence » garantie par les chartes des droits. Il créerait une « présomption irréfragable qui rend toute personne coupable de l'infraction, que celle-ci ait voulu ou non violer la loi ou qu'elle ait ou non les moyens ou la possibilité réaliste de se conformer aux obligations prévues par la loi ».

L'avocat explique que M. Péladeau « ne croyait pas qu'il était possible ou même justifié » de solliciter des dons du public pour rembourser sa dette électorale après son départ de la vie politique. Il aurait été « moralement inacceptable » de le faire. Il n'a donc « jamais voulu délibérément enfreindre la loi ni commettre quelque action qui puisse s'apparenter à une manoeuvre électorale inappropriée ou frauduleuse ».

La loi vise à empêcher des personnes fortunées de se payer une campagne et de disposer de moyens que les autres candidats n'ont pas, mais M. Péladeau n'a jamais eu l'intention de faire pareille chose, explique en substance son avocat.

Or, l'article en question « pénalise de manière arbitraire la personne qui n'a pas de possibilité réelle de se conformer à la loi de la même manière qu'il pénalise celui qui enfreint la loi volontairement ». Une telle situation ne peut se justifier dans le cas d'une personne comme M. Péladeau, qui a « encouru des dépenses raisonnables, doit se retirer de la vie politique pour des motifs incontournables qui étaient imprévus au moment où il a effectué ces dépenses et n'est plus en mesure, de manière réaliste, de maintenir une équipe pour recueillir des dons », plaide-t-il.

« La loi ne permet pas de présenter une défense »

Selon l'avocat, un « large éventail de personnes innocentes » risque de subir un préjudice en raison de cette disposition de la Loi électorale. Il donne l'exemple d'un candidat élu ou non à la tête d'un parti qui, au terme de sa campagne, « tombe malade ou devient incapable d'organiser une collecte de fonds » pour rembourser sa dette.

« La loi ne permet pas de présenter une défense » pour démontrer que l'on n'est pas en mesure de respecter ses exigences. On ne peut établir « l'absence de culpabilité morale », déplore Me Battista.

Au-delà de l'amende, la peine prévue à la loi peut, selon lui, « entraîner des conséquences néfastes et disproportionnées, par exemple en empêchant la personne ou toute autre entreprise qu'elle possède ou sur laquelle elle exerce un rôle de direction de contracter avec des organismes ». En effet, si Pierre Karl Péladeau est reconnu coupable de l'infraction, Québecor risque de perdre le droit de faire des affaires avec l'État pendant cinq ans. « L'avenir de plusieurs millions de dollars de relations contractuelles, allant de contrats de services en télécommunications à la production et à la diffusion d'émissions, comme La poule aux oeufs d'or, pourrait devenir, à terme, incertain », écrivait d'ailleurs M. Péladeau sur Facebook en août dernier.

Le patron de Québecor s'était d'abord déclaré coupable de l'infraction que lui reprochait le DGE, en juillet dernier. Mais après avoir compris le risque que courrait son entreprise à la suite de sa décision, il a fait volte-face et a demandé à la cour de modifier sa réponse à l'accusation. Le tribunal lui a permis cet automne de plaider non coupable. Le litige se poursuit devant la Cour du Québec.

- Avec la collaboration de Tristan Péloquin, La Presse