À près d'un mois de la date butoir fixée par le gouvernement québécois, on estime que 82 % des armes à feu de la province ne sont toujours pas inscrites par leurs propriétaires au Service d'immatriculation des armes à feu du Québec (SIAF). La capacité du gouvernement à forcer la main aux propriétaires d'armes est remise en question.

« Il n'y a personne qui a peur des représailles du gouvernement, ils vont y aller avec un armistice comme au fédéral ! », lance Guy Morin, porte-parole de Tous contre le registre des armes à feu.

Les amendes prévues à la loi pour possession d'une arme non enregistrée vont de 500 $ à 5000 $. Cette menace de devoir débourser plusieurs centaines de dollars ne semble pourtant pas inquiéter outre mesure les propriétaires de plus de 1,4 million d'armes. La lourdeur de la tâche administrative que l'ensemble de ces poursuites impliqueraient rend M. Morin dubitatif devant la mise en place tangible du SIAF.

Le nombre total d'armes à feu sans restriction comme les armes de chasse sur le territoire québécois demeure inconnu depuis le démantèlement de l'ancien registre canadien en 2012. Les armes sans restriction achetées depuis ne sont pas comptabilisées. Le gouvernement du Québec se base toujours sur les chiffres de 2012, issus du révolu régime canadien. Le registre québécois a été mis en place le 29 janvier dernier, laissant aux propriétaires une année de grâce pour immatriculer les armes non restreintes en leur possession.

Appliquer la loi

Les mesures que pourraient prendre les autorités pour sanctionner les contrevenants demeurent encore floues, estime François Coiteux, spécialiste en armes à feu au Commissionnaires du Québec. « Comment on va faire ? C'est là le gros problème ! On le sait pas si monsieur X qui avait huit armes les a toujours. Aussitôt que le fédéral a mis la hache dans le registre, on n'a plus eu accès aux données », affirme-t-il. 

D'après cet ancien enquêteur du Service de police de la Ville de Montréal, les vérifications auprès des propriétaires d'armes ne pourront être faites qu'après une première intervention dont le motif serait extérieur à l'absence d'enregistrement d'une arme.

« C'est un pari pour voir qui va céder en premier. Aussi longtemps que le gouvernement ne signale pas clairement que les amendes vont s'appliquer, le boycottage va augmenter ! », croit Heidi Rathjen, coordonnatrice de Poly se souvient, un groupe des étudiants et diplômés de Polytechnique pour le contrôle des armes.

« C'est une prise d'otage du processus démocratique. Si le gouvernement cède devant une minorité, c'est déplorable, ça va créer un précédent. »

- Heidi Rathjen, coordonnatrice de Poly se souvient

Elle relate les démarches laborieuses de l'État québécois depuis sept ans afin d'obtenir un transfert des données sur les armes à feu du fédéral vers la province.

Selon un sondage réalisé en 2016 par la firme Léger pour Poly se souvient, 69 % des Québécois sont favorables à un régime des armes à feu. 

L'utilité du registre

Le registre est utilisé pour faire des recherches par adresse sur la possession d'armes à feu. « C'est très utile dans les cas de violence conjugale pour saisir les armes sur les lieux. Ça peut aussi permettre de savoir si une arme enregistrée par un membre de la famille par exemple peut se trouver dans le même foyer que quelqu'un ayant des activités criminelles », explique François Coiteux, spécialiste des armes à feu.

Outre les opérations policières effectuées directement sur le terrain, le registre perturberait un trafic illégal d'armes à feu, aujourd'hui en augmentation, croit Francis Langlois, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand de l'Université du Québec à Montréal et enseignant en histoire au cégep de Trois-Rivières. L'immatriculation des armes à feu non restreintes lie chaque propriétaire d'armes aux transactions effectuées.

La pertinence du registre s'inscrit également dans un contexte canadien. « Le registre est particulièrement important vu la faiblesse de la Loi sur les armes à feu qui permet la vente non restreinte de modèle civil d'armes d'assaut comme le Berretta CX4 Storm - utilisé à Dawson », illustre M. Langlois, également professeur en histoire au cégep de Trois-Rivières.

La grogne des propriétaires

Le SIAF est infantilisant et ne réussira pas à sauver des vies, croit de son côté le porte-parole de Tous contre le registre des armes à feu, Guy Morin. 

« On se sent pointés du doigt comme des tueurs potentiels, comme des potentiels dangers publics par rapport aux autres Canadiens. Il faut le voir comme une insulte ! »

- Guy Morin, porte-parole de Tous contre le registre des armes à feu

« C'est un gouffre financier », affirme Guy Morin. Il considère que la bonne façon d'améliorer la sécurité publique est de détecter davantage les personnes souffrant de troubles de santé mentale, par exemple lors de la délivrance du Permis pour possession et acquisition d'arme à feu (PPA).

Il compte bien se battre afin que la Loi sur l'Immatriculation des armes à feu, qu'il considère comme « ridicule et méprisante », soit abolie. « C'est sûr que le 29 janvier, je ne vais avoir aucune arme d'enregistrée », signale clairement M. Morin qui appelle depuis plusieurs mois à un boycottage de l'enregistrement des armes. Le Québec est la seule province où un registre de la sorte existe.

L'Association canadienne pour les armes à feu (NFA) continue de contester devant les tribunaux la constitutionnalité du SIAF québécois, plaidant que l'encadrement des armes est de compétence fédérale. La NFA mène également une campagne contre le projet de loi C71 qui vise à reclasser certaines armes afin d'en restreindre la possession sans enregistrement. 

Le ministère de la Sécurité publique du Québec n'a pas répondu aux questions de La Presse à temps pour cet article.

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Méthodologie

L'estimation faite selon laquelle 82 % des armes à feu seraient toujours non enregistrées se base sur le nombre d'enregistrements au SIAF en date du 20 décembre 2018, communiqué par le ministère de la Sécurité publique ainsi que sur la dernière estimation du nombre d'armes à feu au Québec, soit 1,6 million d'armes en circulation en 2012, lors de la fermeture du registre canadien.