Nous sommes le 1er octobre 20 h 30. Les grandes chaînes de télévision annoncent l'élection d'un gouvernement majoritaire de la Coalition avenir Québec (CAQ). Au quartier général du parti à Québec, seule une poignée de militants sont présents pour célébrer.

L'image marquera bien des esprits. La CAQ prend le pouvoir, malgré qu'elle ait nettement moins de membres et de financement que les autres partis, soit le Parti libéral du Québec (PLQ), le Parti québécois (PQ) et Québec solidaire (QS).

On était habitué depuis un demi-siècle à l'alternance entre le PLQ et le PQ aux commandes de l'État québécois, chacun se présentant avec son équipe. Puis, arrive la CAQ avec des élus issus de toutes les formations politiques, et des cabinets où le personnel provient de tous les partis, mais le plus souvent du PQ.

Mené par François Legault, un ancien comptable et homme d'affaires multimillionnaire, et ex-ministre péquiste, ce troisième parti qui a fait campagne sous le thème du « changement » se réjouit d'avoir dynamité le modèle traditionnel. Tour d'horizon.

Le multipartisme

Pour la première fois de l'histoire du Québec, quatre partis politiques sont officiellement reconnus à l'Assemblée nationale.

Grâce à la CAQ, le PQ et QS ont pu obtenir le statut de groupe parlementaire, et ce, même s'ils ne se qualifiaient pas selon les règles établies.

Ce statut permet donc à chacun des deux partis de bénéficier d'un budget de 1,6 million pour embaucher du personnel, assurer leur présence et leur droit de vote à toutes les commissions parlementaires et acquérir un temps de parole accru durant la période de questions.

M. Legault a semblé regretter sa décision le 6 décembre dernier, après que le PQ l'eut empêché de formuler ses voeux de Noël en Chambre.

Les enjeux de proximité

Terminé le débat fédéralisme/souverainisme, pour l'instant. François Legault promet de pratiquer un nationalisme modéré. Il revendique une plus grande autonomie du Québec au sein de la fédération canadienne.

Se disant ni indépendantiste ni fédéraliste, le fondateur de la compagnie aérienne Air Transat est pragmatique. Il juge le temps venu d'adopter une approche business dans la gestion de certains dossiers de l'État, qu'il veut plus efficace.

En campagne électorale, il aborde des thèmes terre à terre, tels que l'efficacité de la première ligne en santé, la création de maternelles quatre ans et la rénovation de CHSLD, plutôt que des grandes réformes.

Les autres partis exploitent également les enjeux de proximité, au risque de se faire accuser de manquer de contenu. Pensons aux promesses concernant la boîte à lunch des écoliers, les pailles en plastique et l'assurance dentaire, pour ne nommer que celles-là.

Les entrepreneurs

Après avoir connu des gouvernements d'avocats, de professeurs d'université et de médecins, le Québec a aujourd'hui un gouvernement d'entrepreneurs.

M. Legault a d'ailleurs égrené en campagne électorale un chapelet de 35 candidats au profil économique, y compris Christian Dubé (Caisse de dépôt), Nadine Girault (Investissement Québec), Éric Girard (Banque Nationale), Pierre Fitzgibbon (Partenaires Walter Capital) et MarieChantal Chassé (JMJ Aéronautique).

Triés sur le volet par le chef lui-même, plusieurs candidats caquistes ont également mis de l'avant leurs compétences en matière de gestion. Treize de ces gestionnaires et entrepreneurs occupent maintenant un siège au Saint des saints, dont Mme Chassé, qui dirige le ministère de l'Environnement, et Mme Girault, qu'on a envoyé aux Relations internationales.

Les femmes

C'est en grande partie grâce à la CAQ si l'Assemblée nationale est aujourd'hui composée de 42 % de femmes, ce qui dépasse de loin le record de l'élection de 2012, qui était de 33 %.

Des 125 candidats que la CAQ a présentés aux élections cette année, 65 étaient des femmes et 60, des hommes. Il s'agit du plus haut pourcentage (52 %) de candidatures féminines jamais atteint par un parti politique au Québec.

Le seul à s'en être approché est QS, qui a présenté 63 femmes sur 125 à chaque campagne depuis sa création.

Le premier ministre Legault a d'ailleurs formé un conseil des ministres paritaire, composé de 13 hommes et 13 femmes. Il a récemment accueilli une autre femme dans son caucus : Nancy Guillemette remplace l'ex-premier ministre Philippe Couillard dans Roberval. Reste à voir quelle influence elles auront sur le pouvoir.

Le pouvoir centralisé

L'exercice du pouvoir semble se concentrer autour de la personne du premier ministre. Lorsque la palissade de Beaucours, l'un des derniers grands secrets du Vieux-Québec, a été découverte en novembre dernier, c'est M. Legault lui-même qui s'est déplacé pour l'annonce.

Lors de la présentation de la mise à jour économique, c'est M. Legault qui a attiré toute l'attention sur lui, en tenant une conférence de presse spectacle devant une quarantaine de « figurants » et un drapeau du Québec surdimensionné, portant sérieux ombrage à son ministre des Finances.

À fortiori, le premier ministre a pris l'habitude de se lever en Chambre pour répondre aux questions à la place de ses ministres.

Le magasinage politique

L'année 2018 a été marquée par le magasinage politique. Les transfuges ont été nombreux.

La grande patronne du Centre hospitalier de Québec-Université Laval, Gertrude Bourdon, s'est notamment fait connaître pour ses flirts politiques avec le PQ, la CAQ et le PLQ.

L'ex-ministre libérale Marguerite Blais a appuyé la candidate libérale Naömie Goyette, avant d'enfiler le gilet de la CAQ et de se présenter contre elle dans Prévost.

Enrico Ciccone, le député libéral dans Marquette, a reconnu avoir approché la CAQ avant de choisir le PLQ, tandis que Vincent Marissal a approché le Parti libéral du Canada (PLC) avant de se joindre à QS. Des éminences grises au Québec ont crié au manque de convictions et de loyauté.

Le code vestimentaire

Sujet qui a presque occulté tout le reste, le nouveau président de l'Assemblée nationale, le député caquiste de Lévis, François Paradis, s'est rapidement montré favorable à un assouplissement du code vestimentaire convenu au parlement.

L'ancien animateur de télévision, qui dit vouloir redonner confiance aux Québécois dans leurs institutions, a annoncé dès son arrivée en poste qu'il pourrait revoir le code vestimentaire, après que les députés de QS, Catherine Dorion et Sol Zanetti, eurent porté jeans, t-shirts, espadrilles et bottes Doc Martens au Salon bleu.

La CAQ, le PLQ et le PQ, qui tiennent au décorum, lui ont manifesté leur désaccord.