Le dénouement de l'enquête policière sur Gilbert Rozon a divisé la classe politique à l'Assemblée nationale, mercredi. Le gouvernement Legault y voit la preuve que « le système fonctionne », alors que l'opposition soutient qu'il y a « un sérieux problème » dans le traitement des dossiers d'agression sexuelle.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a annoncé mercredi matin le dépôt d'une accusation de viol et d'une autre d'attentat à la pudeur contre M. Rozon. Les gestes remonteraient à 1979.

Il a aussi révélé que les plaintes de 13 autres personnes au sujet de M. Rozon n'avaient pas été retenues. Autrement dit, seule une plainte sur 14 a mené à des accusations criminelles contre le fondateur de Juste pour rire.

Malgré tout, « le système fonctionne », a assuré la ministre de la Justice, Sonia LeBel.

« Il ne faut pas juger sur cette décision, sur cette affaire. Dans les palais de justice, tous les jours, il y en a de nombreux cas d'agression sexuelle, de plusieurs degrés de gravité, qui sont dénoncés. Il y a de nombreuses condamnations, donc le système fonctionne. » - Sonia LeBel, ministre de la Justice

Rappelant son propre passé de procureure de la Couronne, la ministre a assuré que la décision de ne pas porter d'accusations n'était jamais prise à la légère. Elle résulte d'une analyse détaillée de la preuve. Les cas qui sont retenus sont ceux où la Couronne a de bonnes raisons de penser qu'elle pourra faire condamner l'accusé.

« Il ne faut pas que la confiance du public soit ébranlée, a-t-elle dit. C'est un cas de figure particulier. Il y a quand même eu une accusation de portée, ce qui me démontre que l'évaluation des dossiers s'est faite, mais ça se fait au cas par cas. »

Cette décision risque-t-elle de décourager des victimes d'agression sexuelle de dénoncer leur agresseur à l'avenir ? La ministre LeBel croit que non.

LE PQ N'A « PAS APPRÉCIÉ »

Le Parti québécois a déploré la sortie de Sonia LeBel. Sa porte-parole en matière de justice, Véronique Hivon, n'a « pas apprécié » ses commentaires.

« J'ai trouvé que, dans les circonstances, il fallait, nous, se dire : qu'est-ce qu'on peut faire de plus, surtout après le mouvement #moiaussi, surtout après qu'il y a eu autant de courage mis de l'avant dans des dénonciations ? »

Selon elle, il y a une « apparente inadéquation entre le système de justice traditionnel et la réalité des agressions sexuelles ».

« Comme législateur et comme représentante de la population, j'ai la responsabilité de dire qu'il y a visiblement quelque chose qui ne fonctionne pas. » - La députée Véronique Hivon

Il revient aux élus de régler ce « sérieux problème », selon la députée de Joliette, avocate de formation. Elle réclame la création d'un comité de travail « spécifiquement sur la question des réponses du système de justice aux cas de plaintes d'agression sexuelle ». Ce comité devrait entre autres se pencher sur la directive selon laquelle le DPCP doit avoir la conviction morale d'obtenir une condamnation avant de déposer des accusations.

Elle a également relancé l'idée de créer un tribunal spécialisé pour les cas d'agression sexuelle. Lorsqu'elle était dans l'opposition, la Coalition avenir Québec avait voté pour une motion demandant d'examiner cette idée, a relevé Mme Hivon.

« On ne veut pas que les gens n'aient plus confiance en rien. On ne veut pas qu'il y ait de l'impunité. Et on ne veut pas qu'il y ait du découragement chez les victimes et dans la population. On veut dire : on va prendre ça à bras-le-corps puis on va se les poser, les questions, avec les experts », a-t-elle plaidé.

« BOULEVERSÉE »

La députée du Parti libéral Hélène David se dit « bouleversée » par le dénouement de l'enquête policière.

« Il y a plusieurs femmes qui se retrouvent aujourd'hui à se dire que leur plainte n'a pas passé la rampe, a indiqué Mme David. Qu'est-ce qui fait en sorte que c'est si difficile d'atteindre le seuil acceptable pour une accusation dans un crime sexuel ? Est-ce que changer la loi serait une solution ? Je ne sais pas. Chose certaine, il ne faut pas que ça décourage les femmes de porter plainte. »

Elle se dit prête à examiner la proposition de Véronique Hivon d'une chambre spécialisée en matière d'agression sexuelle.

- Avec la collaboration de Katia Gagnon, La Presse