Dès le premier clivage, le gouvernement Legault a fait son choix. Le développement économique passera avant la protection de l'environnement. Un débat sur l'appui à donner à une future usine à Bécancour a été remporté sans appel par les ténors du milieu des affaires, après un premier bras de fer avec les ministres plus sensibles à l'environnement.

Une brochette de ministres plus inquiets devant les enjeux environnementaux étaient clairement réticents devant un projet d'usine qui émettra annuellement 630 000 tonnes métriques de gaz à effet de serre (GES), l'équivalent de 180 000 automobiles de plus sur les routes du Québec. Une fois en marche, l'usine pompera près de 10 % du gaz naturel disponible au Québec et sera presque aussi polluante que l'aluminerie de Bécancour ou les cimenteries de Lafarge et de Ciment Québec.

Le premier ministre François Legault, secondé par Éric Girard, le titulaire des Finances, et Pierre Fitzgibbon, le responsable de l'Économie, a pris fait et cause pour le projet, un symbole important pour montrer que le nouveau gouvernement est « open for business », a résumé une source. Inversement, la titulaire de l'Environnement, MarieChantal Chassé, le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, de même que Marie-Eve Proulx (Développement régional) et Andrée Laforest (Affaires municipales) étaient opposés.

Mercredi dernier, le Conseil des ministres a donc donné le feu vert nécessaire pour l'avancement de ce projet d'usine qui produira de l'urée, une composante nécessaire à l'engrais agricole, et du méthanol. Le gouvernement a « autorisé la poursuite du processus d'évaluation environnementale » qui amènera le projet devant le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). Aussi, on poussera plus loin l'évaluation financière ; Investissement Québec a déjà prévu 15 millions pour sa participation avec La Coop fédérée.

Il s'agit d'une nouvelle mouture du projet d'IFFCO soumis à l'époque du gouvernement Marois. Par la suite, sous le gouvernement Couillard, les promoteurs indiens s'étaient désintéressés de ce projet à cause de conditions économiques défavorables - le ministre de l'Économie de l'époque, le regretté Jacques Daoust, les avait accueillis très froidement.

Les partenaires d'IFFCO Canada - La Coop fédérée et Investissement Québec - se sont joints à Développement Nauticol Québec. On prévoit non seulement une usine de production d'urée - ingrédient pour les engrais agricoles -, mais aussi une autre qui produira du méthanol, le tout sur l'ancien site de l'usine de Norsk Hydro. Le passage du metteur en scène Dominic Champagne, le promoteur du Pacte pour l'environnement, qui avait rencontré François Legault quelques jours plus tôt, n'aura pas laissé une trace durable auprès du gouvernement.

Il y a un avantage à jumeler les deux usines : environ 55 % des émissions causées par la production de méthanol sont récupérés pour produire l'urée. L'usine émettra 630 000 tonnes de CO2 mais séparément, les deux groupes en émettraient environ 930 000 tonnes par an. Par comparaison, la nouvelle cimenterie McInnis, en Gaspésie, produira 1,7 million de tonnes par an, l'équivalent de 500 000 automobiles de plus, et sera à ce titre le plus important pollueur industriel du Québec.

MOINS NOCIF QU'AILLEURS

Du point de vue de l'environnement global, le projet de Bécancour peut se défendre. Actuellement, les engrais utilisés par les agriculteurs québécois sont faits à partir d'urée produite en Russie ou en Chine. Or, cet ingrédient y est produit à partir de charbon, un processus très polluant. Mais du strict point de vue québécois, l'ajout de cet émetteur important de GES éloignera encore davantage le Québec de ses objectifs en matière de réduction des émissions polluantes.

La première mouture du projet était dans les cartons du gouvernement depuis 2012. Le nouveau projet est arrivé en décembre 2017. En mai de la même année, Québec avait décidé de donner un nouveau coup de pouce à l'aventure en y injectant 4,75 millions de plus, portant son intervention à plus de 15 millions. La première tranche de 10 millions venait du Fonds de diversification économique (FDE) du Centre-du-Québec et de la Mauricie, qui avait été mis sur pied après la fermeture de la centrale nucléaire de Gentilly. Ce fonds, tout comme le FDE, relève du ministère de Pierre Fitzgibbon.

Le projet pourrait être en exploitation en 2022.

- Avec la collaboration de Martin Croteau, La Presse