C'était hier le septième jour du nouveau gouvernement caquiste. Et les volte-face, les nuances, les ajustements sont jusqu'ici plus nombreux que les décisions. Passage normal que cette période « d'ajustements » pour une nouvelle équipe, plaideront certains. Mais certaines contradictions apparues publiquement laissent songeur quant au niveau d'improvisation qui sévit dans le gouvernement Legault.

Il est habituel que les premiers pas d'un nouveau gouvernement soient hésitants. Pauline Marois s'était enferrée, dès le premier jour, sur l'abolition de la taxe santé, une promesse électorale. Philippe Couillard, fraîchement élu, misait encore sur l'appétit du Canada anglais pour une ronde de négociations constitutionnelles visant à ramener le Québec dans la Constitution en 2017, au 150e anniversaire de la Confédération.

Un exemple flagrant du flottement actuel, du flou artistique autour du plan d'action du gouvernement : en début de journée, le ministre responsable de préparer le projet de loi sur la laïcité, Simon Jolin-Barrette, soutenait sans hésiter que le gouvernement avait l'intention d'interdire le port du tchador pour les employées de la fonction publique. Comme parti de l'opposition, la Coalition avenir Québec (CAQ) avait maintes fois martelé cette intention. M. Jolin-Barrette martèle aussi que son patron lui avait demandé de régler rapidement ce dossier toujours controversé.

Mais en fin de journée, François Legault était bien moins catégorique. S'il a soutenu que son parti n'avait pas changé d'idée, il a soigneusement évité de dire clairement que le port du tchador serait proscrit dans le projet de loi que compte déposer M. Jolin-Barrette avant les Fêtes. Il a plutôt répété que son parti préconisait l'application des balises du rapport Bouchard-Taylor, soit l'interdiction du port de signes religieux pour les employés de l'État exerçant des fonctions coercitives - un groupe auquel la CAQ a ajouté les enseignants, qui ont un rapport d'autorité avec les élèves. M. Legault a même laissé entendre que le tchador ne figurerait pas dans le projet de loi de son ministre, il pourrait même y avoir deux projets de loi !

Il faut dire que légalement, l'interdiction du tchador doit être délicate à formuler. Le vêtement qui illustre la soumission de la femme de confession musulmane ne pose pas de problèmes de sécurité ou d'identification comme le niqab, qui cache le visage. 

Toucher l'ensemble de la fonction publique déborde largement le contingent des employés de l'État qui sont en position d'autorité. Gérard Bouchard et Charles Taylor estimaient que leur proposition serait évaluée comme une limite raisonnable à la liberté de religion. Mais la volonté d'interdire le tchador forcerait de toute évidence François Legault à recourir à la disposition de dérogation de la Constitution.

Pas une contradiction, mais une nuance importante. Le premier ministre a mis un bémol évident à son ministre plus volontaire.

Même chose avec le développement des hydrocarbures à l'île d'Anticosti. Pris d'assaut par les journalistes, le nouveau ministre de l'Énergie, Jonatan Julien, s'était dit prêt à étudier des projets si le secteur privé en soumettait. Pas question de mettre des fonds publics dans cette aventure qui avait déjà coûté plus de 100 millions sous Pauline Marois. 

Plus tard, le ministre de l'Économie, Pierre Fitzgibbon, a souligné qu'aucun projet n'était à l'étude. Et en fin de journée, François Legault mettait le clou dans le cercueil. Son gouvernement n'a aucun intérêt envers l'exploitation dans l'île d'Anticosti. Il faut dire qu'il serait étrange de cribler de forages un territoire qu'on propose à l'UNESCO comme site du patrimoine mondial. 

En outre, la CAQ a un déficit de crédibilité auprès des environnementalistes - pas question de creuser davantage ce fossé. Pourquoi alors ne pas avoir suggéré au ministre Julien de fermer cette porte à la première occasion ?

Parfois Legault lui-même est à la source du dérapage. C'est lui qui, spontanément, avait soutenu que la ministre de la Justice, Sonia LeBel, serait responsable du projet de loi sur le cannabis. On avait songé par la suite à Geneviève Guilbault, responsable de la police à la Sécurité publique. Récemment, on est revenu au plan d'action des libéraux : le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, sera responsable de cette question.

En campagne électorale, François Legault se promettait de réduire le salaire des médecins spécialistes de 400 000 $ en moyenne à 320 000 $ par année. Christian Dubé, vedette venue de la Caisse de dépôt, brûlait d'envie d'obtenir le dossier de la Santé, mais Legault s'était commis publiquement : il nommerait Danielle McCann à ce poste névralgique. Après une semaine, Dubé rentre par la porte d'en arrière, comme responsable de la négociation avec les médecins spécialistes. 

Roulant des mécaniques, François Legault annonce que les fonds destinés aux augmentations de salaire des spécialistes seront conservés en fidéicommis jusqu'à la conclusion d'une entente. La Fédération des médecins spécialistes a rappelé hier qu'il n'y avait aucune augmentation de salaire prévue d'ici 2023. Les augmentations de la masse prévues visaient « la gestion du réseau et les plans de couverture dans les spécialités de base ». Ce n'est pas demain la veille que le salaire des spécialistes baissera.

Photo Yan Doublet, Le Soleil

Simon Jolin-Barrette, ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion