Les syndicats ont accueilli avec prudence la nomination de Jean Boulet à titre de ministre du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale dans le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ).

Cet avocat spécialisé en droit du travail a représenté la partie patronale dans l'un des plus longs conflits de travail des dernières années au Québec, celui de l'entreprise aéronautique Delastek, en Mauricie.

Le conflit déclenché par une grève en avril 2015 a duré trois ans et été particulièrement acrimonieux.

L'entreprise s'est fait reprocher par les tribunaux l'utilisation de briseurs de grève. Son président avait traité les grévistes d'« incompétents » sur la place publique et menacé de déménager la production dans un autre pays. Le Tribunal administratif du travail a aussi conclu en mars dernier que Delastek n'avait pas négocié de bonne foi.

Le député de Trois-Rivières, Jean Boulet, a représenté la partie patronale à la table des négociations. Il a été nommé ministre du Travail hier.

« C'est certain qu'on a des réserves importantes sur sa nomination. Le conflit a duré 1073 jours », rappelle Renaud Gagné, directeur du syndicat Unifor au Québec, qui représente les employés syndiqués de Delastek.

« Je travaille depuis 35 ans avec des dizaines d'avocats dans des dizaines de dossiers. Je peux vous dire que ça n'a pas été le gars le plus disponible, le gars le plus prompt à trouver un règlement. Au contraire, ce n'était pas le cas. Là, il devient ministre du Travail, quel message ça envoie ? » - Renaud Gagné

Le syndicaliste espère que le nouveau ministre sera celui « de tous les travailleurs ». « J'ai beaucoup d'inquiétudes. Je me demande comment on pourra travailler avec lui. »

La réaction de la CSN a été moins tranchée hier. Son président, Jacques Létourneau, a salué « la connaissance en relations de travail » du nouveau ministre.

M. Létourneau précise qu'il connaît M. Boulet puisque ce dernier a représenté la partie patronale dans plusieurs dossiers qui concernaient la CSN.

« Comme d'autres avocats patronaux, il a assumé les mandats qu'on lui a confiés. Maintenant, il se retrouve ministre du Travail. Il se retrouve entre les syndicats et les patrons et il doit s'assurer que l'équilibre soit maintenu, note le président de la CSN. S'il se présente comme le ministre que des intérêts patronaux, c'est sûr qu'il va y avoir un problème. »

Une porte-parole au cabinet du premier ministre, Nadia Talbot, a indiqué hier soir que M. Boulet « représenterait les intérêts de l'ensemble de la population québécoise ».

DEVOIR D'IMPARTIALITÉ ?

Le conflit chez Delastek a éclaté quand une cinquantaine d'employés syndiqués - qui touchaient un salaire d'environ 11 $ l'heure - ont déclenché une grève pour une question de partage des tâches entre eux et des travailleurs non syndiqués. C'était en 2015.

Avant d'être réglé en mars dernier, il s'agissait du plus long conflit de travail actif au Québec. Ces trois années ont été émaillées de décisions des tribunaux en faveur des deux parties.

« On peut comprendre Unifor de taxer de partialité apparente le nouveau ministre », estime Jean-Claude Bernatchez, professeur titulaire en relations de travail à l'Université du Québec à Trois-Rivières.

« Cela dit, cette partialité apparente, on est habitué à ça dans le monde du travail au Québec. On navigue entre le monde patronal et syndical, et la seule manière d'y échapper serait de nommer quelqu'un qui ne vient d'aucun de ces deux mondes, note le professeur. Et encore... »

M. Bernatchez pense que le nouveau ministre pourrait vouloir casser son image d'avocat proche du milieu patronal. « Il a un premier test auprès des Québécois qui est de montrer qu'il est capable d'impartialité dans les différents conflits ouvriers qui auront lieu au Québec », croit-il.