Le gouvernement Couillard a dévoilé mercredi six grandes lignes directrices pour encadrer les accommodements religieux, mais dans la pratique, c'est au cas par cas que les demandes présentées devront être analysées.

Interrogée en point de presse, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, n'a pas voulu donner d'exemples sur des cas précis, comme le port d'un hijab par une agente de la paix ou un lieu de prière en milieu de travail, affirmant que les mesures présentées ne dictaient pas un «cadre d'analyse unique».

Ainsi, une demande pour givrer des vitres dans un centre d'entraînement pourrait être acceptée dans certains cas, mais refusée dans un contexte différent.

«Chaque demande doit être prise dans un contexte particulier qui lui est propre, a dit Mme Vallée. Les lignes directrices ne visent pas à déterminer ce qui est acceptable ou pas. Cela vise à donner une grille d'analyse pour permettre à l'organisme s'il y a lieu ou non d'accorder un accommodement.»

Le cadre présenté par Québec ne s'applique qu'aux différents ministères de l'appareil public, aux municipalités ainsi qu'aux organismes. Les entreprises privées peuvent s'en inspirer, mais elles n'ont pas d'obligation de l'appliquer.

Ces lignes directrices découlent de la loi 62, qui a été adoptée et sanctionnée l'an dernier. L'article 10 de cette loi, qui prévoit que les services gouvernementaux doivent être livrés et reçus à visage découvert, a été suspendu temporairement à la suite d'une décision des tribunaux.

Pour qu'une demande d'accommodement religieux soit acceptée, elle devra notamment être sérieuse et respecter le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes, a expliqué Mme Vallée.

Après le dépôt d'une requête, il reviendra aux responsables des organismes concernés de trancher. Des formations seront offertes aux répondants d'ici le 1er juillet, date d'entrée en vigueur du cadre.

«Il s'agit d'un outil de référence pour que les gens qui sont confrontés à ces situations puissent les analyser, a dit Mme Vallée. Ils pourront aussi les refuser (les demandes) sans pour autant se sentir mal à l'aise.»

Si un accommodement religieux est refusé, le demandeur aura l'occasion de faire appel de la décision auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Des sanctions pourraient aussi s'appliquer si, par exemple, un employé qui se voit refuser un congé pour des motifs religieux s'absente quand même du travail, a laissé entendre la ministre de la Justice.

«L'employeur verra en fonction de ses normes et de ses règles de relations de travail à poser les gestes appropriés, a affirmé Mme Vallée. Si l'on défie l'autorité, des sanctions sont applicables.»

Des critiques

L'opposition officielle n'a pas tardé à réagir, puisque sa porte-parole en matière de laïcité, Agnès Maltais, a soutenu qu'il s'agissait de la «consécration du cas par cas».

Selon la députée péquiste, la pression demeure entièrement sur l'employé de l'État, qui ne peut pas s'appuyer sur un texte de loi fort.

«On nous a dit que par exemple dans le réseau de l'éducation, il y avait environ 500 demandes d'accommodements religieux par année, on nous a dit que des médecins et des infirmières aussi vivaient des situations extrêmement difficiles. Est-ce ces lignes directrices règlent ces problèmes? À notre avis, non», a-t-elle fait valoir en point de presse.

«La patate chaude va être encore sur les épaules des personnes qui sont devant la personne qui demande un accommodement», a-t-elle ajouté.

La seule directive claire est l'obligation de suivre ses cours le visage découvert, a dit Mme Maltais.

Les «principes d'application» présentés par la ministre de la Justice, mercredi, ne s'attardent qu'aux services publics à visage découvert, en oubliant toutes les autres demandes d'accommodements raisonnables, qui sont «nombreuses», selon Mme Maltais.

La députée péquiste a rappelé que sa formation politique comptait présenter une «véritable loi sur la laïcité au Québec» si elle est portée au pouvoir en octobre prochain.

La Coalition avenir Québec (CAQ) a indiqué qu'elle réagirait «officiellement» jeudi, après avoir analysé les documents, estimant tout de même qu'on accentue la confusion.

«Stéphanie Vallée ouvre la porte à un accommodement religieux pour le niqab et la burqa si la croyance est "sincère" et elle ajoute encore plus de confusion à sa loi 62. C'était un fouillis, c'est maintenant un foutoir!», a affirmé la porte-parole Nathalie Roy par courriel.

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Les six lignes directrices:

• La demande doit résulter de l'application de l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne.

• La requête doit être sérieuse, donc fondée sur une croyance sincère et la nécessité de se conformer à une pratique liée à une conviction religieuse.

• On doit respecter l'égalité entre les hommes et les femmes ainsi que le droit de toute personne d'être traitée sans discrimination.

• L'accommodement demandé doit permettre à l'État de demeurer neutre.

• La demande doit être raisonnable et ne pas imposer une contrainte excessive par rapport au respect des droits d'autrui.

• Le demandeur a collaboré à la recherche d'une solution qui satisfait au caractère raisonnable.