Un projet de loi pour permettre le changement de propriété de La Presse pourra être rapidement adopté si la direction du journal parvient à convaincre les partis d'opposition du bien-fondé de leur décision, a souligné mardi le premier ministre Philippe Couillard.

«La pluralité de l'information au Québec c'est très important», a souligné M. Couillard à la sortie de la réunion quotidienne de son caucus. «Je m'attends à ce que La Presse veuille contacter les partis d'opposition pour voir s'il est possible d'entrevoir l'adoption rapide du projet de loi», a-t-il résumé.

L'annonce de La Presse mardi matin, «c'est positif dans le sens qu'il n'y a pas d'inquiétudes sur l'avenir du journal. Mais, prévient-il, il faudra des changements législatifs pour lesquels la collaboration des partis sera nécessaire».

Le changement de propriété de La Presse nécessite l'abrogation d'une loi privée de 1967, par laquelle l'Assemblée nationale se donnait le droit d'intervenir dans le choix d'un propriétaire pour le quotidien de la rue Saint-Jacques. À cette époque, Power Corporation venait d'acquérir le journal, ce qui avait soulevé un débat important. L'adoption d'un nouveau projet de loi - très simple - permettait de suspendre l'effet de la loi 282, adoptée en 1967.

Pour Philippe Couillard, l'intervention des gouvernements dans la vie des médias nécessite une très grande prudence. Établir une règle par laquelle les gouvernements seraient impliqués dans le financement des entreprises de presse est risqué. Selon lui, il y a un risque quant à «l'indépendance perçue de ces médias». Mieux vaut intervenir par des actions qui sont totalement distinctes du contenu éditorial. Le financement par l'État du virage numérique de ces médias s'inscrit dans cette logique, souligne-t-il.

Il dit décoder que le gouvernement fédéral a fait savoir qu'il serait davantage disposé à venir en aide à une organisation sans but lucratif, comme le sera La Presse après le changement de propriété. «La Presse+ a beaucoup de lecteurs mais les revenus publicitaires ne sont pas en rapport avec le nombre de lecteurs. Les plateformes comme Google et autres font une offensive publicitaire très très forte, qu'il est difficile à affronter», a expliqué M. Couillard.

Du côté du PQ, Jean-François Lisée affirme pour sa part qu'il rencontrera «les gens de La Presse mercredi, qui [exposeront] les détails du plan et du projet». C'est par la suite qu'il discutera avec ses collègues députés de la marche à suivre concernant l'abrogation d'un projet de loi privé de 1967.

«Je veux que le gouvernement ait un programme d'aide aux médias qui ne fasse pas de gagnant ni de perdant. Que tout le monde soit sur le même pied», a poursuivi le chef péquiste, se disant toujours opposé au financement «au cas par cas» des médias d'information.

Pour François Bonnardel, leader parlementaire de la Coalition avenir Québec, «les gouvernements ont à se pencher sur la situation des médias écrits».

«C'est une situation qui est extrêmement grave. Les médias écrits sont en crise, c'est extrêmement difficile», a-t-il commenté, mardi. «[Le] modèle que La Presse met en place aujourd'hui, c'est peut-être un modèle unique qui va faire des petits, mais ça sera important de suivre la suite», a-t-il indiqué.

Pour Gabriel Nadeau-Dubois de Québec Solidaire, il n'est pas «inintéressant d'essayer de nouveaux modèles d'affaires dans le monde des médias». «De l'aide publique aux médias, on est tout à fait ouverts. Ça peut être une bonne idée dans la mesure où ça finance des médias qui sont indépendants, critiques et autonomes», a-t-il dit.

Dans le camp de La Presse

Pour le leader parlementaire du gouvernement, Jean-Marc Fournier, il appartient à La Presse de plaider sa cause. «Il faudra que La Presse fasse des approches auprès de l'ensemble des partis politiques. Qu'ils expliquent ce qu'ils envisagent, et, à partir de là, on verra si on est capable de faire quelque chose, une fois que les informations seront partagées à tout le monde», a souligné mardi matin M. Fournier, lors d'un entretien avec La Presse.

«La balle est dans le camp de La Presse, ils doivent dire ce qu'ils veulent faire», insiste-t-il. Le changement de direction de La Presse suppose l'abrogation d'un projet de loi privé de 1967, par lequel l'Assemblée nationale se donnait le droit d'intervenir dans la gestion du journal. À l'époque, Power Corporation avait fait l'acquisition du quotidien de la rue Saint-Jacques.

Pour abroger un projet de loi, il faut en faire adopter un autre, qui neutralise le premier. «La loi privée de 1967 prévoit que l'Assemblée peut intervenir», l'abroger ne nécessite pas une loi complexe. «Ce n'est pas le libellé de la loi, mais c'est son idée qui doit être promue auprès des différents partis politiques», observe M. Fournier.

Il est impossible que le projet de loi puisse être déposé avant le 15 mai, la date butoir avant laquelle le gouvernement peut forcer l'adoption d'un projet de loi. Une adoption avant l'ajournement du 15 juin reste possible, mais reste difficile à prévoir. «Les partis peuvent demander des consultations, et on les accorde, les députés peuvent parler longtemps sur un article... Cela relève de La Presse de bien exposer le sens de leur modification», observe le leader parlementaire du gouvernement.

Une situation difficile, car «cela arrive au moment où l'horloge fait tic-tac». Normalement, un projet de loi privé est modifié par un autre projet de loi privé. Or, il est trop tard pour y aller d'un bill privé -sa préparation, prépublication, etc. doit débuter aussi tôt que février pour être approuvé en juin.

«Comme ce sera une loi publique, elle devra avoir l'autorisation des partis d'opposition», a indiqué M. Fournier.