Le policier était intrigué. Stationnée au parlement, en pleine nuit, l'auto oscillait mystérieusement. En se rapprochant, la situation est devenue claire : un député était avec une femme passablement jeune. L'affaire a vite été balayée sous le tapis ; l'élu a démissionné, on lui a accordé une nomination bien pépère. Il représentait un « bon comté », une aubaine pour le chef du parti qui voulait attirer des vedettes. Mais c'était le siècle dernier !

L'affirmation en laissera plusieurs incrédules : les histoires scabreuses sont moins fréquentes que par le passé au Parlement. Bien sûr, on chuchote encore au sujet des ébats d'un membre du gouvernement avec une députée dans un bureau du bien nommé « hôtel du Parlement » - même après quelques années, les gardes du corps s'en souviennent bien, mais on était entre adultes consentants.

Les déboires récents du député d'Argenteuil, Yves St-Denis, qui a envoyé une photo obscène sur le cellulaire d'une employée politique, n'auraient suscité qu'un haussement d'épaules il y a quelques décennies. Hier, on était face à deux versions contradictoires. À La Presse, l'organisatrice en chef du Parti libéral du Québec (PLQ), Josée Lévesque, a souligné qu'elle avait été informée de la situation par un tiers le 23 octobre dernier. La plaignante avait été contactée. « Je lui ai dit de ne pas en parler pour lui éviter des poursuites », a expliqué hier Mme Lévesque. 

Une autre version voudrait qu'on ait, sans ménagement, demandé à la victime de se la boucler. Quelques heures plus tard, Claude Lemieux, du cabinet du premier ministre, a été mis dans le coup. Le député St-Denis continuait de nier, mais la plainte a été aiguillée vers le mécanisme d'enquête prévu à l'Assemblée nationale. Comme s'il pensait améliorer son cas, M. St-Denis a précisé dans une entrevue à Cogeco que ce n'était pas un égoportrait, mais une image tirée d'un film pornographique.

Sur un autre point, surtout, on est encore face à deux versions diamétralement opposées. Selon des sources proches, la victime maintient fermement qu'elle avait informé Josée Lévesque de l'inconduite du député dès le lendemain des élections d'avril 2014. Leurs bureaux étaient même voisins à la permanence du PLQ à Montréal, Mme Lévesque était déjà responsable de l'organisation du PLQ. « Franchement, je ne m'en souviens pas », a soutenu Josée Lévesque.

C'était prévisible : d'une seule voix, hier, les partis de l'opposition ont crié au « cover-up ». 

Après les déboires de Gerry Sklavounos, l'embarras de Pierre Paradis, tous deux mis au ban du caucus libéral, la question se pose : les inconduites à connotations sexuelles sont-elles si fréquentes en politique ?

La faune de l'Assemblée nationale n'est pas différente de l'ensemble de la société. À l'heure des #metoo, des affaires Rozon et Weinstein, personne ne pense que les parlementaires vivent sous une cloche de verre. Mais force est de constater qu'ils sont plus disciplinés qu'il y a quelques années.

Il y a deux ans, une directive avait été émise du côté libéral. Les attachées politiques ne pouvaient plus se retrouver avec les députés au salon du whip du parti - un endroit où les élus se détendent en prenant un verre. La coupe avait débordé quand une jeune femme s'était retrouvée assise sur les genoux d'un député.

Un facteur, surtout, a changé l'ambiance. Sans être prohibé, l'alcool est beaucoup moins présent. Depuis la présidence de Richard Guay, dans les années 80, il est interdit d'apporter de l'alcool sur le parquet du Salon bleu. Mais pendant bien des années, même par la suite, l'auguste salle où les députés de la majorité tiennent leur caucus quotidien était moins recommandable. Surnommée « la taverne à Baptiste », elle accueillait jusqu'à tard des députés encanaillés, tous partis confondus. Une pratique impensable depuis 20 ans.

La petite histoire foisonne de ces anecdotes sur les dérapages des élus. Il y a 30 ans, plusieurs députés libéraux avaient réclamé une rencontre avec le chef de cabinet du premier ministre Robert Bourassa. Un seul point à l'ordre du jour : un ministre avait séduit la femme d'un député qui travaillait à son cabinet politique ! On les a rassurés autant que possible ; le droit de cuissage n'était pas de rigueur.

Sous le gouvernement Lévesque, un député de l'opposition s'est levé, outré. Il affirmait avoir trouvé des micros dans son bureau du parlement. Médusé, le ministre de la Justice, Marc-André Bédard, a promis de tirer l'affaire au clair. Une semaine plus tard, il s'est entretenu en privé avec la « victime ». Il n'y avait rien de politique, ce n'était pas davantage la police. « C'est ta femme qui te fait suivre ! », avait laissé tomber Bédard. En Chambre, le député a fait publiquement ses plus plates excuses.

Une attachée politique avait eu des liaisons avec quelques élus. À son party de départ, un député y est allé d'un petit discours, un peu trop enthousiaste. Or, sa femme était présente. La réception s'est terminée sur-le-champ ; « on rentre à la maison ! »

Dans le siècle précédent, encore. Un élu plutôt débonnaire avait confié à bien des collègues que sa femme avait une aventure avec le curé du village. Il avait vu un col romain accroché au lit nuptial, cela ne s'invente pas. L'histoire a fait le tour de l'Assemblée. Répondant en Chambre à une question du malheureux trompé, un ministre, Alain Marcoux, aura un lapsus malheureux : « Monsieur le Curé... » avait-il commencé, soulevant l'hilarité générale.

Chose certaine, à l'époque, les députés prenaient plutôt à la légère les questions sexuelles. Un ministre avait confié à Guy Chevrette que le médicament qu'il prenait entraînait une dysfonction érectile. Toujours généreux pour faire partager une bonne anecdote, le péquiste avait ébruité l'affaire. En se levant au Salon bleu, le collègue a eu la surprise de voir les élus libéraux lever la main avec l'index, pointant, piteusement, vers le sol.

Mais qui pourra décrire l'humiliation d'une employée politique, amenée en limousine par un ministre à plusieurs kilomètres de Québec, qui a dû par la suite rentrer en taxi, parce que le monsieur devait retourner, rapidement, à l'Assemblée ? Mais c'était au siècle dernier.