Il suscite la méfiance chez certains, la curiosité chez d'autres. Beaucoup encore craignent qu'il n'agite les questions identitaires à un point tel que le gouvernement fédéral soit obligé d'intervenir pour calmer le jeu.

À Ottawa, la possibilité que le chef de la Coalition avenir Québec François Legault remporte les élections provinciales prévues le 1er octobre et devienne le prochain premier ministre du Québec n'est plus considérée comme un scénario farfelu. Depuis quelque temps, une éventuelle victoire de la CAQ alimente les discussions et les supputations au sein des libéraux de Justin Trudeau, des conservateurs d'Andrew Scheer et des néo-démocrates de Jagmeet Singh.

Pour l'heure, le gouvernement Trudeau se sent plus interpellé que les partis de l'opposition par un possible changement de garde à Québec évoqué par les sondages au cours des derniers mois. Car c'est lui qui aura à répondre formellement aux éventuelles demandes venant d'un nouveau gouvernement caquiste. Et ces demandes pourraient être enveloppées d'un nouvel élan de nationalisme, estime-t-on dans les rangs libéraux.

« On se méfie de François Legault. En ce qui me concerne, c'est toujours un souverainiste », laisse tomber un député libéral, qui a requis l'anonymat afin de commenter en toute franchise l'alignement des astres politiques au Québec sur la scène provinciale.

Chez les libéraux, on redoute qu'un gouvernement caquiste ne s'empresse de réclamer de nouveaux pouvoirs en matière de culture et d'immigration et ne propose à Ottawa une formule où les contribuables québécois n'auraient qu'à remplir une seule et unique déclaration de revenus - celle du gouvernement du Québec, lequel remettrait par la suite au fisc fédéral sa juste part.

« C'est évident qu'il y aurait plus de tensions entre le gouvernement fédéral et un gouvernement caquiste à Québec qu'il y en a entre notre gouvernement et celui de Philippe Couillard. » - Un député libéral qui a requis l'anonymat

Dans les rangs conservateurs, les nombreux sondages qui prédisent une victoire de la CAQ de François Legault suscitent une vive curiosité et une forme d'espoir. D'autant que l'on voit en la CAQ un parti résolument à droite sur l'échiquier politique et que son éventuelle victoire pourrait permettre de défricher le terrain électoral dans certaines circonscriptions pour le Parti conservateur en prévision du scrutin fédéral prévu 12 mois plus tard, en octobre 2019.

La promesse de François Legault de réduire, voire d'éliminer la dépendance du Québec envers les paiements de péréquation du gouvernement fédéral (11,7 milliards de dollars en 2018-2019) en créant de la richesse ne laisse personne indifférent, surtout dans le cas des conservateurs venant des provinces de l'Ouest, indique-t-on.

« Il y a énormément de curiosité envers François Legault chez nous. On est très emballés de voir qu'il veut s'attaquer à la péréquation, surtout dans l'Ouest. Il y a de la curiosité positive, mais aussi de la curiosité brute. C'est tout de même un ancien séparatiste. Et, oui, il veut réduire la dépendance du Québec face à la péréquation, mais il voulait imposer des péages comme condition pour appuyer Énergie Est de passer au Québec. C'est vu comme un double discours, d'autant qu'il semble hésiter à vouloir développer le plein potentiel énergétique du Québec », soutient-on chez les conservateurs.

« Mais ce qui est surtout rassurant pour nous, c'est de voir que le Parti québécois n'est plus dans le paysage. C'est un élément important. On ne croit pas que François Legault soit un séparatiste. C'est un comptable. Il sait compter. Il sait qu'un Québec indépendant, ça ne marcherait pas. C'est aussi simple que cela », souligne-t-on aussi.

Un ancien stratège conservateur se montre plus prudent. « Vu d'Ottawa, il y a quelque chose de positif dans le fait que la discussion portera sur autre chose que : es-tu pour ou contre la souveraineté ? Mais le nationalisme de Legault peut ultimement vouloir échoir sur la souveraineté ou un référendum. Car une fois qu'il aura fait ses revendications à Ottawa et qu'Ottawa aura dit non, que va-t-il faire ? », soutient-il.

« Il faudra aussi surveiller comment il va réagir, s'il devient premier ministre en octobre, aux attaques déjà en cours du chef conservateur de l'Alberta Jason Kenney contre la péréquation que reçoit le Québec. »

« Comment le premier ministre François Legault va-t-il réagir ? Va-t-il remettre son manteau souverainiste ? Car s'il y a une personne qui peut raviver la flamme souverainiste au pays, c'est Jason Kenney. » - Un ancien stratège conservateur

Chez les néo-démocrates, on souligne d'emblée que le NPD et la CAQ n'ont pas beaucoup d'atomes crochus. « Nous sommes un parti social-démocrate et interventionniste. Nous voulons davantage de recettes pour le gouvernement. François Legault et sa gang, c'est l'inverse de tout cela », souligne une source néo-démocrate, qui a aussi requis l'anonymat afin de commenter plus librement la situation sur la scène provinciale.

Mais ce qui fait craindre le pire au NPD, c'est l'accent que pourrait mettre la CAQ sur les questions identitaires. D'autant plus que le chef du NPD, Jagmeet Singh, porte le turban et le kirpan, deux symboles religieux. Résultat : M. Singh pourrait être interpellé plus souvent qu'à son tour sur d'éventuelles mesures touchant les accommodements raisonnables d'un gouvernement caquiste. « On s'attend à ce que François Legault et ses troupes brassent la soupe identitaire. On voit déjà la compétition entre le Parti québécois et la CAQ pour savoir lequel des deux partis va être le défenseur du patrimoine québécois et des us et coutumes contre "les méchants immigrants". »

Mince consolation pour les troupes de Jagmeet Singh, la CAQ est vue comme un parti de changement qui veut s'attaquer à l'establishment et à la mainmise des « vieux partis » sur le pouvoir - une philosophie que propose aussi le NPD aux électeurs.

À six mois des élections provinciales, la possibilité d'une victoire du chef caquiste François Legault suscite visiblement de nombreuses réflexions dans la capitale fédérale, signe indéniable que l'on s'attend à ce que la donne politique change considérablement si les sondages se confirment.