Pour ses allégations sans fondement qui ont soulevé des doutes sur l'intégrité du système judiciaire, le président du syndicat des policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Yves Francoeur, devrait faire face à des mesures disciplinaires ou répondre de ses gestes en déontologie policière, estime l'ancien ministre Raymond Bachand.

« Il a sali ma réputation, et je n'avais rien à voir là-dedans. Il y a une Commission de police, des règles déontologiques, s'il a dit n'importe quoi, endommagé la réputation de la police, il me semble qu'il y a quelque chose... M. Francoeur a mis en cause l'intégrité de l'administration de la justice. C'est sérieux pour un policier ! », a lancé M. Bachand.

Aussi éclaboussé par les allégations de M. Francoeur, Jean-Marc Fournier, leader parlementaire du gouvernement, a exigé des excuses publiques. « Des excuses sont un minimum », a dit M. Fournier en point de presse. À l'époque, il avait dit songer à ne pas se représenter tant les allégations du policier lui avaient fait mal personnellement. « Quand je dis que c'est une injustice, ce n'est pas léger. Je ne souhaite à personne de subir ça », a ajouté le M. Fournier.

Yves Francoeur a répondu de façon laconique, affirmant n'avoir que retransmis des informations comme « lanceur d'alerte ». « À la suite de l'annonce de la Sûreté du Québec de la conclusion de l'enquête sur les allégations qu'il a relayées à titre de sonneur d'alerte », le président de la Fraternité des policiers « prend acte de la conclusion », et refusera toute nouvelle entrevue à ce sujet, s'est borné à dire le syndicat dans un communiqué.

« AUCUNE PREUVE »

En matinée, hier, au terme de neuf mois d'enquête, une équipe mixte dans laquelle cinq corps de police étaient représentés a conclu que les déclarations-chocs d'Yves Francoeur n'étaient pas fondées. Pour les enquêteurs, « aucune preuve ne démontre quelque fraude ou trafic d'influence ». « En conséquence, il n'existe pas de motifs raisonnables de croire qu'une infraction criminelle a été commise par quiconque », a tranché le groupe auquel la Sûreté du Québec (SQ), la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et trois corps de police municipaux participaient.

Le 27 avril, en entrevue au 98,5 avec Paul Arcand, M. Francoeur avait soutenu qu'un dossier d'enquête touchant deux élus libéraux avait été fermé prématurément à la suite de pressions politiques. Il ajoutait même que l'un d'eux était toujours élu à l'Assemblée nationale, membre du gouvernement libéral. Par la suite, les médias de Québecor ont indiqué qu'il s'agissait de Raymond Bachand, ex-ministre des Finances, et de Jean-Marc Fournier, actuel leader du gouvernement à l'Assemblée nationale.

À la radio, M. Francoeur « avait allégué avoir été informé qu'un dossier d'enquête de fraude ou de trafic d'influence impliquant des élus libéraux aurait dû conduire au dépôt d'accusations, n'eût été le fait que le dossier concernait ces élus libéraux », résument les enquêteurs.

Il avait réitéré ses allégations à plusieurs occasions par la suite et accepté de collaborer à l'enquête déclenchée la semaine suivante, sous l'autorité de Madeleine Giauque, patronne du Bureau des enquêtes indépendantes.

L'équipe mixte formée pour ce dossier était composée de policiers de la GRC et de la SQ, ainsi que d'enquêteurs des polices municipales de Québec, de Montréal et de Longueuil. Plus de 60 personnes ont été interrogées.

PRUDENCE AU SPVM, CRITIQUES DU DPCP

La direction du SPVM n'avait hier que des commentaires prudents à formuler. Selon le porte-parole Ian Lafrenière, il appartient à l'unité qui a fait enquête sur les allégations de décider si M. Francoeur doit faire face à des mesures disciplinaires. « C'est l'unité mixte qui s'en est occupée, pour le SPVM, ce sera à cette unité de décider de la suite des choses. S'il y a un blâme à faire, ce sera à cette unité d'enquête d'en décider », a dit M. Lafrenière.

Dans une rare intervention en dehors d'un dossier judiciaire, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a déploré « les insinuations sans fondement » qui « minent la confiance du public », jettent le discrédit sur le système judiciaire et créent « un climat malsain de suspicion inacceptable ». Une personnalité publique « doit agir de façon responsable lorsqu'elle fait une déclaration dans les médias », a affirmé le DPCP dans un communiqué.

« LA POPULATION DOIT EN PRENDRE NOTE »

Le ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux a indiqué, en marge d'un colloque sur les inondations du printemps dernier, que devant la gravité de ces allégations, il n'avait pas d'autre recours que de déclencher une enquête qui serait au-dessus de tout soupçon.

« [M. Francoeur], c'est quelqu'un d'important, il est président de la Fraternité des policiers, il a fait des allégations très sérieuses. Il aura peut-être l'occasion de s'exprimer. Comme ministre de la Sécurité publique, je dis que cela [ses allégations] a été pris au sérieux. » Il s'en remet quant à lui au directeur du SPVM pour voir si des sanctions doivent être prises. « Je ne suis pas directeur du SPVM. La gestion des opérations n'est pas du ressort du ministre », a-t-il dit.

De telles déclarations ont semé des doutes dans la population quant à l'intégrité du système judiciaire, « sur la crédibilité de nos institutions ». « Elles ont alimenté un certain cynisme auprès de la population. Les vérifications ont été faites, j'en prends note, et la population doit en prendre note. Il faut s'exprimer prudemment dans ces situations », a observé M. Coiteux.

- Avec Tommy Chouinard, La Presse