Sans orientations précises, sans objectifs clairs énoncés par le gouvernement, Loto-Québec a un problème sérieux de productivité. Au fil du temps, la société d'État commerciale n'aura jamais implanté la «culture d'efficacité» qui l'aurait mise à l'abri d'une chute de ses recettes causée par le recul des ventes de billets de loterie et les coûts de fonctionnement des casinos.

Entre 2000 et 2015, la productivité de la société d'État a constamment diminué. Elle s'est rétablie depuis, mais sans cette période de léthargie, Loto-Québec aurait livré 400 millions de plus au fonds consolidé du gouvernement.

C'est le constat incisif que fait le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal dans une étude toute récente sur la productivité de cette organisation. Le centre avait diffusé un rapport aux conclusions similaires l'an dernier sur la Société des alcools du Québec (SAQ) et s'attaquera bientôt au géant Hydro-Québec. «Pour nous, il y a un fil conducteur : l'État comme actionnaire unique a l'obligation de surveiller ces monopoles, d'avoir des exigences précises», observe l'économiste Robert Gagné, l'un des auteurs de l'étude. Au lieu des objectifs vagues habituels, Québec pourrait, par exemple, interdire à cette société tout recul des recettes qui perdurerait plus de deux ans.

Loin des préoccupations du gouvernement, Loto-Québec a toutefois «plus d'excuses que la SAQ» pour sous-performer. «On le voit avec la SAQ, dès qu'il y a eu un peu de pression, les prix ont baissé.» Même si on constate une légère embellie, «la situation de Loto-Québec demeure précaire», contrairement à la SAQ, dont la demande «ne peut techniquement s'effondrer». Loto-Québec «demeure exposée à la concurrence des casinos étrangers et du jeu en ligne».

«C'est typique des sociétés d'État. Tant qu'il y a un dividende à la fin de l'année, la vie est belle. L'État, propriétaire unique, n'a jamais été très exigeant. Loto-Québec a eu la partie moins facile parce que la demande a changé. L'arrivée des casinos, cela a été plus difficile pour eux», affirme M. Gagné.

Toutes ces activités liées au jeu, «on peut dire que c'est un mal nécessaire. Mais le gouvernement pourrait au moins avoir des exigences en termes d'efficacité, de performance. Cela ne veut pas dire faire plus de revenus, ni de faire la promotion de ces activités, mais d'être plus efficaces». Devant Loto-Québec, comme il le fera bientôt avec la Société québécoise du cannabis, le gouvernement a la même attitude : «On se bouche le nez, on n'a pas le choix d'entrer dans ce marché», lance M. Gagné.

Payante, la loterie vidéo

La machine à imprimer de l'argent de Loto-Québec est depuis longtemps les appareils de loterie vidéo (ALV), qui se trouvent dans les salons de jeu, mais aussi dans les bars. Ces appareils ne coûtent rien à exploiter, «mais il y a des drames sociaux qui viennent avec ça, mais cela va au-delà d'une analyse économique». L'étude ventile les ventes nettes de Loto-Québec, une fois les commissions et les lots soustraits.

Les «établissements de jeu», les salons de paris, mais aussi les bars qui ont conservé leurs appareils de loterie vidéo restent la poule aux oeufs d'or de la société. 

Le marché des billets de loterie est en lente régression : 125 millions ont été payés en commissions, 260 millions en retour aux parieurs, ce qui a permis de dégager des profits de 476 millions.

La productivité à Loto-Québec n'a pas toujours été aussi faible. Un recul avait été encaissé lors de l'embauche des employés pour les casinos, alors que l'allongement de la liste de paie avait fait chuter la productivité de 70% en 1992.

De 1996 à 2000, la diversification des produits avait fait bondir les recettes, une productivité accrue de 30% qui a culminé en 2000. Depuis, on constate un recul constant. Le gain réalisé a été perdu, et on est de retour aux rendements du passé. Le «creux historique a été atteint en 2013», constatent les auteurs.

Changement de cap

Depuis le plan stratégique 2014-2017, on constate un changement de cap, l'offre de divertissement est devenue plus «attrayante, novatrice et compétitive», la productivité a augmenté de 14%, et le bénéfice réel, de 8%.

La société paie 623 millions en frais d'exploitation des casinos, de la restauration et de l'hébergement qui y sont liés; son profit net de l'exploitation est 176 millions.

Concernant l'opération casino, «on voit bien que les chiffres ne sont pas là. On a l'impression que, pour le gouvernement, c'est un mal nécessaire. Ils ont créé les casinos pour contrer l'économie au noir, freiner la vague de casinos autochtones qui s'annonçait. C'est clair que les casinos ne sont pas rentables. Il y a peut-être des raisons sociales, mais s'ils ont fait ça pour faire de l'argent, ils se sont plantés», résume M. Gagné.

L'impact des mesures sociales

L'étude sur la productivité de Loto-Québec porte sur une période où les objectifs sociaux du gouvernement ont freiné la performance de Loto-Québec. Depuis 2015, les mesures adoptées par la société d'État ont permis des gains d'efficacité.

Devant le constat de l'étude de HEC Montréal, Lynne Roiter, PDG de Loto-Québec, observe que la période de 2000 à 2015 correspond à «deux mesures sociales [qui] ont eu un impact négatif sur la rentabilité de Loto-Québec : le plan de reconfiguration du réseau d'appareils de loterie vidéo débuté en 2004 et l'entrée en vigueur, le 31 mai 2006, des dispositions de la Loi sur le tabac».

En 2014, Loto-Québec a annoncé un virage, un «exercice qui s'est conclu trois ans plus tard par des gains d'efficacité récurrents se chiffrant à 100,4 millions de dollars et une réduction de 10% du nombre d'effectifs sur trois ans», souligne-t-elle. En même temps, l'augmentation des dépenses a été limitée à 0,3%, en dépit de l'augmentation du chiffre d'affaires et des hausses de salaire prévues aux conventions.

«Depuis 2014-2015, les revenus ont augmenté annuellement, de même que le bénéfice net. Ce virage entrepris par Loto-Québec et les mesures mises en place ont donc porté leurs fruits et continuent de porter leurs fruits», affirme Mme Roiter.

Depuis le plan stratégique de 2014, les années se suivent mais ne se ressemblent pas. En 2015-2016, les revenus ont augmenté de 6,7% et le résultat net a progressé de 10% par rapport à l'année précédente. En 2016-2017, les revenus ont augmenté de 2,1% et le résultat net a crû de 0,3% par rapport à l'année précédente. Pour l'année 2017-2018, pour la même période, les revenus sont en avance de 5,1% et le résultat net est en hausse de 8,4% par rapport à l'année précédente.

Le secteur des casinos procure près de 1 milliard de revenus bruts - 800 millions en 2015, relève l'étude de HEC Montréal. Pour Loto-Québec, l'efficacité de ce secteur s'est accrue sensiblement.

«Notre indicateur de performance, le revenu par heure travaillée, ne fait que s'améliorer. Il est passé de 126 $/heure travaillée [2010-2011] à 152 $ [après notre premier semestre de cette année]», observe Loto-Québec.

« La croissance des revenus n'est pas toujours souhaitable », dit Leitão

Faire davantage de revenus n'est pas un objectif qui se justifie dans toutes les situations, estime le ministre des Finances, Carlos Leitão, en réaction à l'étude sur la productivité de Loto-Québec.

« Loto-Québec opère dans un marché difficile où la croissance des revenus dans certains secteurs, par exemple, n'est pas toujours souhaitable », précise le ministre, soulignant les problèmes récents soulevés par la prolifération des appareils de loterie vidéo dans les zones où la population est défavorisée.

« Dans ce contexte, la réduction des coûts et la productivité deviennent les principaux leviers pour optimiser les profits et les revenus du gouvernement pour financer nos services publics », observe M. Leitão. Or, les mesures mises en place depuis trois ans « ont permis des gains importants sur la réduction des coûts, l'efficience et la croissance des profits ».

Québec tient à ce que ses sociétés commerciales gardent le cap sur la performance, « une responsabilité et un devoir envers la population ». Mais la responsabilité sociale et la santé publique doivent servir à évaluer la performance autant que la productivité et les profits, souligne le ministre responsable de Loto-Québec. C'est aussi vrai pour la Société des alcools du Québec (SAQ).

Pour lui, l'enquête démontre aussi qu'en « ce qui concerne l'efficience et la productivité, il est important de souligner les améliorations significatives observées depuis trois ans, autant pour la SAQ que pour Loto-Québec ». La société « continue à poser les gestes nécessaires à l'amélioration de sa performance », conclut le ministre.