Le président de l'Assemblée nationale, Jacques Chagnon, fait des reproches sévères à l'UPAC dans l'affaire Guy Ouellette. L'organisation de Robert Lafrenière aurait dû l'aviser de l'arrestation du député le 25 octobre. Et il prévient qu'elle devra avoir son accord avant de fouiller dans les appareils électroniques saisis, dont le contenu est susceptible d'être couvert par le privilège parlementaire.

«Les méthodes employées par l'UPAC dans la présente affaire dénotent, à mon avis, un manque flagrant de considération à l'endroit de l'Assemblée et de ses membres», a déclaré M. Chagnon jeudi dans un discours de 47 minutes, une «directive» prononcée au Salon bleu de l'Assemblée nationale.

Selon lui, «cette façon de faire peut être suffisante pour semer un doute sur le respect de l'équilibre fragile qui doit exister dans la relation entre les différentes branches de l'État.»

À plusieurs reprises, le président a rappelé que les députés ne sont pas au-dessus des lois et que sa «directive n'a pas pour effet d'empêcher, le cas échéant, le député de Chomedey de faire face à la justice pour des gestes qu'il aurait pu poser en dehors du cadre de ses fonctions parlementaires». Mais «par cette directive, je tiens à exercer ma responsabilité la plus fondamentale, soit de faire respecter les droits et privilèges de cette Assemblée et de ses membres», a-t-il déclaré.

Il a insisté: «J'invite l'UPAC à faire preuve de respect envers l'Assemblée nationale et lui demande sa collaboration afin qu'ensemble, on en arrive à trouver une nécessaire voie de passage pour non seulement maintenir les hauts standards démocratiques qui sous-tendent le fonctionnement de notre État, mais également pour en assurer les apparences».

Jacques Chagnon a rappelé que l'UPAC ne l'a pas avisé qu'elle procédait à l'arrestation d'un député le 25 octobre. Certes, l'Assemblée nationale n'a pas toujours été prévenue lorsque l'un de ses membres a été arrêté dans le passé. Mais le président aurait dû l'être dans le cas présent, selon M. Chagnon. «Loin de moi l'idée de dire, aux forces de l'ordre, comment faire leur travail. Toutefois, lorsque l'arrestation d'un député, en l'occurrence un président de commission, a pour effet de perturber le fonctionnement des travaux parlementaires, il y a des doutes qui peuvent survenir dans l'esprit des gens, ce qui a été le cas, en l'espèce», a affirmé le président.

«Cela dit, en tout respect pour le travail des policiers et pour la bonne administration de la justice, votre Président a encore des doutes sur la manière dont les choses ont été faites. Ces doutes sont d'autant plus renforcés par le fait que l'UPAC n'a exprimé aucune sensibilité à l'égard de la situation particulière, comme si l'arrestation du président de la commission parlementaire devant laquelle l'UPAC doit répondre était une chose anodine; comme si cette arrestation et, surtout, la manière dont elle a été faite, ne soulevaient pas des doutes quant au respect du nécessaire et fragile équilibre qui sous-tend l'organisation de notre État».

Il «demande qu'à l'avenir, les corps policiers informent de manière systématique la présidence lorsqu'il est question de l'arrestation d'un député et surtout si cette arrestation l'empêche de participer aux travaux parlementaires».

Les enquêteurs ont usé d'un «stratagème» le 25 octobre pour arrêter Guy Ouellette. Ils se sont emparés du cellulaire de l'un de ses amis et ancien policier Richard Despaties lors d'une perquisition au domicile de celui-ci. Ils ont envoyé un message texte au député en se faisant passer pour M. Despasties. Ils ont fixé un rendez-vous hors du parlement, et des policiers ont accueilli le député au lieu fixé. «Qu'on le qualifie de piège ou d'appât a peu d'importance : le fait d'utiliser un stratagème visant à faire sortir un député de l'enceinte parlementaire pour mieux procéder à son arrestation, tel qu'il a été relaté, est le moins que l'on puisse dire, assez dérangeant», a dit M. Chagnon.

«Si on estimait qu'il était à ce point urgent d'arrêter un président de commission parlementaire au beau milieu d'une séance de sa commission, pourquoi avoir procédé de cette manière ? Pourquoi a-t-on attiré le député à l'extérieur de l'enceinte parlementaire en utilisant un subterfuge ? Pourquoi, si c'était si urgent, ne pas avoir procédé à l'arrestation et à la saisie à l'Assemblée nationale ? Est-ce pour éviter la procédure "plus lourde" qui vise à obtenir la permission du président de l'Assemblée nationale ? Est-ce pour éviter de soumettre un mandat de perquisition au président pour analyser s'il était respectueux des règles applicables en la matière ? Force est de constater que des doutes subsistent.»

Il se questionne également sur la surveillance électronique dont a fait l'objet le député par les policiers. «La confidentialité des communications d'un député doit jouir d'un niveau de protection au moins aussi élevé que celui que nous avons souhaité pour les journalistes», a-t-il dit.

L'UPAC a saisi le téléphone cellulaire et l'ordinateur portable du député Ouellette. Il demande à L'UPAC «de ne pas prendre connaissance des données contenues dans les appareils saisis du député de Chomedey, et ce, tant que nous n'aurons pas l'assurance que le protocole mis en place permet de veiller au respect des privilèges parlementaires».

«Un protocole doit être mis en place afin de pouvoir séparer les documents couverts par le privilège de ceux qui ne le sont pas : seuls ces derniers pourront alors être utilisés par les autorités policières. De plus, en tant que gardienne des droits des députés, la présidence de l'Assemblée ou une personne la représentant doit pouvoir participer activement à cette opération», a-t-il expliqué. Sur la façon de procéder à l'analyse des documents saisis, l'UPAC a agi d'une manière «que d'aucuns pourraient qualifier de cavalière» selon lui. «Je trouve tout à fait déplorable que l'UPAC n'ait pas pris la peine de communiquer avec l'Assemblée nationale, la plus haute et la plus noble des institutions, pour nous faire part de leurs intentions, mais qu'elle ait plutôt opté pour la voie des médias pour ce faire. Cette attitude dénote, à mon sens, une méconnaissance de nos institutions, et en particulier du Parlement qui est le coeur de la gouvernance démocratique de notre État», a-t-il soutenu.

Guy Ouellette ne fait l'objet d'aucune accusation à ce jour. Certes, «ce n'est pas au président de l'Assemblée nationale à fixer les délais qui doivent être respectés en semblable matière», a-t-il dit. Il a toutefois une «préoccupation» au sujet des «conséquences politiques» d'un délai trop long entre une arrestation et une accusation. «Plus nous nous rapprochons du prochain rendez-vous électoral, plus un long délai avant que des accusations ne soient portées à l'encontre d'un député ayant vu son intégrité attaquée pourrait avoir un effet préjudiciable sur ce dernier. En effet, dans un contexte politique où l'image et les perceptions du public sont fondamentales, il est difficile d'imaginer qu'un député, à l'égard de qui de telles accusations seraient latentes, puisse participer au processus démocratique sans en payer le prix politique. Cette situation, vous en conviendrez, serait inéquitable, et même profondément injuste», a-t-il soutenu. Il «demande à ce que le travail policier se fasse de manière à respecter les droits des députés.»

Dans un communiqué de presse laconique, l'UPAC soutient que ses actions sont menées «avec la plus haute considération de la fonction d'un député et du privilège qui lui incombe, surtout lorsqu'il s'agit de procéder à des perquisitions ou encore, à son arrestation». «L'urgence d'agir peut certainement influencer certaines décisions dans une stratégie d'enquête, mais jamais cette urgence ne pourrait justifier une action qui contreviendrait aux règles de droit», ajoute-t-elle. L'UPAC signale qu'un «dialogue légal a été établi avec l'Assemblée nationale» au sujet de l'analyse des appareils électroniques saisis, ce qui «permettra au processus de suivre son cours dans le respect des privilèges parlementaires et de la saine administration de la justice».