Chaque jeudi, le centre communautaire Champigny dans le secteur Sainte-Foy s'anime au son du roulement des dés et du battement des cartes. Les membres des Loisirs Laurentien se réunissent dans la bonne humeur pour s'adonner à des jeux de société. Cette semaine, on entend un son inhabituel dans la pièce. La vingtaine de personnes, surtout retraitées, reçoivent de la visite.

Ihssane El Ghernati est vêtue d'une tunique jaune. Dépliants à la main, la candidate du Parti libéral dans Louis-Hébert serre la main des joueurs. À quelques jours du vote, cette ancienne attachée politique de Sam Hamad se présente comme la candidate de la continuité.

«Dans 12 mois, on va retourner dans une élection générale, dit-elle. Moi, je leur dis que pendant ces 12 mois, je suis prête à faire la job.»

Plus à l'aise dans un groupe communautaire que devant les caméras, la candidate est reçue avec des sourires sincères. Derrière cet accueil chaleureux, toutefois, le scepticisme est palpable.

L'un des joueurs habite tout près de l'usine Anacolor, dont les émanations nauséabondes incommodent les résidants de Cap-Rouge depuis des mois. Il se dit insatisfait de la gestion du dossier par le gouvernement Couillard, et peu impressionné par la promesse de Mme El Ghernati de faire déménager l'établissement.

«Quand je vois qu'au Parti libéral, le ministre contredit la candidate, ça ne me rassure pas beaucoup», ajoute-t-il.

Le même jour, à Saint-Augustin-de-Desmaures, la candidate de la Coalition avenir Québec, Geneviève Guilbault, enfile des lunettes protectrices avant de pénétrer dans une usine de poêles à bois. Son contact avec les électeurs est moins chaleureux que celui de sa rivale, mais son aisance en entrevue est évidente. Et elle dispose d'un atout de taille.

«Les gens ne me disent pas nécessairement qu'ils votent pour nous, mais ils disent qu'ils ne votent pas libéral, dit la jeune candidate. On sent vraiment que les gens sont tannés, ça fait 15 ans que les libéraux sont ici et que plusieurs problèmes ne se sont pas réglés.»

Le Parti libéral règne sans partage sur la circonscription de Louis-Hébert depuis 2003. Aux dernières élections, Sam Hamad a battu son plus proche rival par près de 9000 voix. Mais aujourd'hui, au terme d'une campagne marquée par les cafouillages, même des libéraux admettent que ce bastion est menacé.

«On a un peu plus le vent dans la face et ils ont un peu plus le vent dans le dos», convient une source, qui prédit un résultat très serré demain soir.

L'effet Hamad

À l'extérieur de la capitale, Sam Hamad était surtout connu pour ses citations boiteuses. Mais à Québec, plusieurs conviennent qu'il a livré la marchandise. Il a joué un rôle de premier plan dans la construction du Centre Vidéotron, dans la réalisation de la promenade Champlain, dans les festivités du 400e anniversaire.

«M. Hamad» était très apprécié dans la circonscription, convient le maire de Saint-Augustin-de-Desmaures, Sylvain Juneau. Bon nombre de péquistes et de caquistes votaient pour lui. Pour son successeur, donc, la barre est haute.

«C'est important que la région ait un poids pour contrebalancer le poids de Montréal, qui draine des sommes phénoménales, dit M. Juneau. Ce n'est pas une critique, c'est une réalité.»

Selon l'ancien maire de Cap-Rouge, André Juneau, Philippe Couillard risque de pâtir de l'exclusion de M. Hamad de son cabinet, décision qui a précipité son départ de la politique en avril. L'ex-ministre brille par son absence depuis le début de la campagne : il a refusé d'appuyer Mme El Ghernati, pourtant son ex-employée.

«Je ne serais pas surpris si les gens, même les libéraux, votaient contre le Parti libéral en signe de solidarité avec Sam Hamad. Ça, ça court dans la ville, je peux vous le dire», dit M. Juneau.

Un test crucial

À un an des élections générales, le scrutin de lundi soir est perçu comme un test crucial. Le Parti libéral a tout à perdre, lui qui occupe 9 des 11 circonscriptions de la Rive-Nord de Québec, dit Thierry Giasson, politologue à l'Université Laval.

«Le premier domino qui tomberait et qui pourrait provoquer une réaction en chaîne, c'est Louis-Hébert», résume-t-il.

Pour François Legault, le test est majeur aussi : la région de Québec est réceptive aux propositions de la CAQ sur la baisse du fardeau fiscal et la réduction de la taille de l'État. Mais la sympathie exprimée dans les sondages ne s'est pas encore traduite par des victoires sur le terrain.

Les campagnes des deux favoris ont connu des ratés majeurs. Le premier choix de la CAQ, Normand Sauvageau, a abruptement quitté la course à cause d'une affaire de harcèlement. Il a été discrètement remplacé par Mme Guilbault, à qui on destinait la circonscription de Charlesbourg.

Quant aux libéraux, ils ont essuyé les refus de plusieurs personnalités de Québec avant d'arrêter leur choix sur Éric Tétrault. Cette candidature a été mal accueillie par les militants et fortement critiquée par les adversaires du PLQ en raison de ses liens passés avec Alfonso Gagliano et le gouvernement Charest. M. Tétrault a lui aussi jeté l'éponge en raison d'une affaire de harcèlement alors qu'il était au service de la société ArcelorMittal.

Dans la dernière ligne droite de cette étrange campagne, beaucoup sont perplexes.

«Il y a deux partis pour qui c'est important, affirme un élu de la région de Québec ayant requis l'anonymat. Et les deux ont foiré leur départ.»

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LOUIS-HÉBERT EN CHIFFRES

43% : Proportion des personnes âgées de 15 ans ou plus titulaires d'un diplôme universitaire en 2011. À l'échelle du Québec, ce taux est de 23%.

42 020 $ : Revenu médian des habitants de la circonscription en 2011. C'est largement supérieur à la moyenne québécoise, qui était de 28 099 $.

83,66% : Proportion des citoyens qui ont voté aux élections générales de 2014. C'est le plus haut taux de participation au Québec.

PHOTO ERICK LABBÉ, LE SOLEIL

Ihssane El Ghernati, candidate du Parti libéral dans Louis-Hébert