Le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l'Électrification des transports (MTMDET) a lancé un appel d'offres public pour trouver une firme d'ingénierie privée qui analysera des demandes de réclamations d'entrepreneurs en construction, qu'on appelle familièrement les «extras».

En entrevue à La Presse, un porte-parole du MTMDET, Guillaume Paradis, a confirmé les intentions du Ministère en indiquant que le but principal de cet exercice est de réduire un arriéré de 200 demandes de réclamations qui se sont accumulées au cours des dernières années, faute de personnel suffisant pour les traiter.

«Depuis 2007, le Ministère attribue un très grand nombre de contrats, ce qui donne forcément lieu à un plus grand nombre de réclamations, fondées ou pas, a dit M. Paradis. Au cours des dernières années, nous avons dû composer aussi avec plusieurs demandes venant d'entreprises qui ont fait faillite, ce qui a mobilisé une partie importante de nos ressources. À partir de là, nous avons commencé à accumuler les demandes, et nous n'arrivons plus à reprendre le dessus.»

Le délai de traitement de ces demandes d'extras pour les contrats du Ministère aurait atteint «entre 24 et 36 mois», selon M. Paradis. Au cours des quatre dernières années, le nombre de nouvelles demandes déposées au Ministère a largement dépassé la capacité de celui-ci à régler les dossiers, qui se retrouvent dans plusieurs cas devant les tribunaux.

Selon le porte-parole, au terme du contrat de deux ans, dont le montant est fixé à un maximum de 300 000 $, le MTMDET souhaite avoir réduit les demandes en attente de 30%.

Festival d'«extras»

L'intention du Ministère de faire appel au privé pour analyser des réclamations des entrepreneurs fait bondir le président du syndicat des ingénieurs du gouvernement, Marc-André Martin, qui estime qu'une telle démarche va donner lieu à «un festival d'extras», au détriment d'une saine gestion des deniers publics.

M. Martin a accusé le MTMDET «de mettre aux vidanges» les enseignements récents de la commission Charbonneau sur la corruption dans l'industrie de la construction, ainsi que les avis récents de la vérificatrice générale du Québec, qui déplorait récemment la vulnérabilité du Ministère par rapport aux firmes privées.

L'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ), qui est en négociations avec Québec pour le renouvellement de sa convention collective et qui a fait du renforcement de l'expertise gouvernementale son principal cheval de bataille, a aussi dénoncé les exigences éthiques «plutôt basses» du MTMDET dans son appel d'offres.

Dans deux addendas publiés après l'appel d'offres initial, le MTMDET a abandonné la nécessité de détenir une certification ISO pour répondre aux exigences du contrat. Mais pire encore, souligne M. Martin, le Ministère ouvre la porte à ce que des firmes de génie-conseil condamnées pour corruption ou collusion au cours des cinq dernières années puissent être qualifiées, pourvu qu'elles soient inscrites à un programme de remboursement volontaire.

«C'est une vraie honte, s'exclame M. Martin. Pierre Moreau [le président du Conseil du trésor] préfère engager des firmes qui ont déjà été reconnues coupables de collusion et de corruption pour surveiller d'autres firmes privées, plutôt que d'engager des ingénieurs honnêtes et d'améliorer l'expertise interne du Ministère et du gouvernement du Québec.»

Renforts insuffisants

Le président de l'APIGQ estime de plus que l'allongement du délai de traitement de réclamations était un problème prévisible, étant donné l'augmentation importante du nombre de contrats accordés par le MTMDET depuis 10 ans.

«En doublant ou triplant les investissements routiers, c'était évident qu'il allait y avoir plus de réclamations, mais on n'a rien fait pour augmenter l'expertise et y répondre. Si bien qu'aujourd'hui, on n'est même plus en mesure d'analyser les demandes d'extras et de jouer notre rôle de gardien des deniers publics», dit M. Martin. 

«Le gouvernement Couillard aime mieux sous-traiter cette fonction essentielle de l'État au secteur privé», ajoute-t-il.

Au Ministère, le porte-parole Guillaume Paradis rétorque que le MTMDET a renforcé ses effectifs, au cours des dernières années, et qu'il prévoit ajouter d'autres ressources pour analyser les réclamations des entrepreneurs. Selon les données transmises à La Presse, le MTMDET n'avait que deux ingénieurs spécialisés en réclamations jusqu'en novembre 2011. Ce nombre a été graduellement augmenté à 10 ingénieurs actuellement en fonction. Un 11e spécialiste s'y ajoutera «au cours des prochaines semaines», et le MTMDET souhaite augmenter ses effectifs à 15 ingénieurs spécialisés dans les prochains mois.

Ces ajouts ont toutefois été insuffisants pour gérer et analyser les demandes d'extras qui s'ajoutent par dizaines au MTMDET chaque année.

Sur le plan éthique, ajoute-t-il, le Ministère conservera en tout temps le mot final sur les demandes de réclamations analysées par la firme retenue. De plus, «le prestataire ne traitera aucun dossier de réclamations pour un contrat où il aurait été impliqué, que ce soit directement ou indirectement. Si le cas se présente, nous conserverons le traitement de la demande à l'interne pour éviter toute apparence de conflit d'intérêts. Ça, c'est une règle qui sera incontournable».

«Cet appel d'offres, dit M. Paradis, c'est une première. On n'a jamais fait cela avant, et nous le faisons maintenant parce que la situation est devenue difficile en raison du nombre des réclamations en attente. Après deux ans, notre souhait est d'avoir repris le contrôle et d'avoir un volume réduit de demandes qu'on puisse traiter à l'interne.»

M. Paradis ne disposait pas d'une estimation des sommes qui sont en jeu dans les 200 demandes de réclamations en attente de traitement, qui peuvent aller de quelques milliers de dollars à plusieurs millions, selon la valeur des contrats.