Les consultations locales sur le racisme au Québec seront sous la responsabilité d'organismes choisis par le ministère de l'Immigration et non par la Commission des droits de la personne. Leur lancement accuse du retard.

Le 20 juillet, le gouvernement Couillard a annoncé que la Commission des droits de la personne tiendrait à sa demande une consultation sur la discrimination systémique et le racisme «en collaboration avec le ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion» (MIDI).

Or, le MIDI a pris en charge l'organisation des consultations locales, la première partie de l'exercice. Le gouvernement avait pourtant annoncé que ce ministère ne s'occuperait que de logistique.

Le MIDI a lancé l'appel de projets pour sélectionner entre 15 et 20 organismes à but non lucratif (OBNL) qui seront mandatés pour recueillir des témoignages. Il a analysé les candidatures et a choisi les gagnants, qui doivent être annoncés aujourd'hui par la Commission des droits de la personne.

«La Commission n'ayant pas la structure pour effectuer les appels d'offres dans un court délai, le MIDI a procédé à la sélection des OBNL», a confirmé la porte-parole de la Commission, Meissoon Azzaria. Elle s'occupe toutefois du contenu du guide qui sera fourni aux OBNL pour leurs consultations locales.

Le Centre social d'aide aux immigrants (CSAI) et le Réseau d'action pour l'égalité des femmes immigrées et racisées du Québec (RAFIQ), tous deux de Montréal, font partie des OBNL sélectionnés, selon ce qu'a appris La Presse.

La directrice générale du CSAI, Lida Aghasi, et la présidente du RAFIQ, Maria Elisa Montejo, confirment que le MIDI les a informées que la candidature de leur organisme avait été retenue. «Notre vis-à-vis, c'est le Ministère. Nous n'avons pas parlé avec la Commission », précise Mme Aghasi. Elle note toutefois que le rapport-synthèse des consultations locales sera transmis à la Commission des droits de la personne pour alimenter sa réflexion.

Plus de deux semaines de retard



L'annonce des organismes sélectionnés se fera aujourd'hui, avec plus de deux semaines de retard. Le début des consultations locales devait avoir lieu le 29 septembre. Il sera reporté, selon plusieurs sources. Ces consultations seront à la fois publiques et privées, a déclaré la ministre de l'Immigration Kathleen Weil dans une sortie confuse la semaine dernière.

Autre délai : le site web promis au début de septembre pour permettre à tous de s'exprimer sur le sujet n'est toujours pas en ligne.

La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes déplore le «flou» entourant l'organisation des consultations. 

«Tout le monde est perdu. On ne comprend pas trop qui décide. Est-ce que c'est la Commission? Est-ce que c'est le Ministère? On est un peu mêlés sur qui est en train de leader ça», affirme Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes.

Cette question n'est pas banale. Car la Commission des droits de la personne est un organisme indépendant du gouvernement.

La directrice d'Action travail des femmes, Katia Atif, intervient souvent auprès de la Commission sur des cas de discrimination et déplore l'opacité entourant les consultations. «C'est vraiment étrange parce qu'il y a une présence continue du MIDI dans tout le processus. On ne voit pas ce que fait le MIDI dans ça. Si on donne un mandat à la Commission des droits de la personne, on lui laisse les coudées franches», affirme-t-elle. Elle se demande si l'exercice répond davantage à des impératifs politiques tellement «le délai est court».

Un forum national doit avoir lieu en novembre. La Commission doit remettre ses recommandations au gouvernement en février. Ce «calendrier global demeure inchangé», soutient le cabinet de la ministre Kathleen Weil.

Selon Katia Atif, la petite équipe du service de recherche de la Commission en a plein les bras en raison du mandat que lui a confié le gouvernement. Une représentante de la Commission «m'a mentionné que nos dossiers sont ralentis à cause de la consultation et de la conjoncture actuelle», dit-elle.

Par «conjoncture», elle entend la crise interne qui secoue la Commission des droits de la personne. Six mois après son entrée en fonction, sa nouvelle présidente, Tamara Thermitus, est visée par trois plaintes pour abus d'autorité, mauvaise gestion et manque de respect envers le personnel. Le Protecteur du citoyen fait enquête.

Le Parti québécois et la Coalition avenir Québec demandent l'annulation de la consultation sur la discrimination et le racisme systémique. Le gouvernement veut faire le procès des Québécois, selon eux.

«C'est très mauvais de faire dès le début un tel constat et d'essayer d'empoisonner le débat public, réplique Lida Aghasi. Le racisme systémique existe, mais ça ne veut pas dire que les Québécois sont plus racistes que les autres ou sont racistes. [...] C'est important d'amener le sujet sur la table, de discuter et de faire un nouveau diagnostic de la situation.»