Il aura fallu trois ans à deux ministères québécois pour reconnaître une démarche qu'ils avaient eux-mêmes imposée à une quinzaine d'écoles de langue privées du Québec afin qu'elles puissent accueillir des étudiants étrangers pour une période de plus de six mois.

Ce retard aura eu pour conséquence d'affecter la réputation du Québec auprès des agences internationales de placement d'étudiants, au point de réorienter des candidats vers d'autres pays francophones ou, pour les cours d'anglais, vers d'autres provinces canadiennes qui, elles, avaient résolu rapidement les problèmes entraînés par un changement de la réglementation du ministère fédéral de l'Immigration survenu en 2014 et qui est entré en vigueur le 1er juin dernier.

«Les agents d'éducation ont préféré placer leurs étudiants ailleurs dans les provinces ou les pays où tout était clair», a indiqué Marie-Christine Morin, responsable des programmes français chez Langues Canada, un organisme qui regroupe les écoles de langue privées du Canada.

Les données de Langues Canada sur les inscriptions chez ses membres québécois illustrent clairement cette situation.

Les écoles de langue privées du Québec accueillent tous les ans environ un millier d'étudiants étrangers qui viennent étudier pour plus de six mois. Ce nombre avait grimpé à 1400 en 2015, mais en 2016, il avait chuté à 613, alors que la situation du Québec n'était toujours pas résolue.

Dans la plupart des cas, ces étudiants choisissent cette voie pour parfaire leur français ou leur anglais avant de poursuivre des études postsecondaires au Canada.

«Désignation» provinciale

En 2014, à la suite d'un changement dans la réglementation, Immigration Canada a exigé des étudiants réclamant un visa d'études de plus de six mois d'accompagner cette demande d'une lettre d'admission d'une «institution désignée», confiant la responsabilité de cette désignation aux provinces.

Ottawa avait donné jusqu'au 1er juin 2017 aux écoles et aux provinces pour compléter ce processus.

Avec une célérité et des procédures variables, toutes les provinces ont octroyé des numéros de désignation à l'ensemble des écoles.

Toutes... sauf le Québec, qui n'a octroyé des numéros de désignation qu'aux institutions publiques de son réseau.

«Le gouvernement du Québec ne nous a pas autorisés à avoir un numéro de désignation; il ne voulait pas changer sa réglementation», affirme Daniel Lefort, directeur d'ILSC Montréal, l'une des 15 écoles concernées.

Le ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion (MIDI) du Québec a plutôt offert un numéro de désignation temporaire aux institutions privées et invité celles-ci à s'affilier à une institution postsecondaire reconnue afin d'utiliser le numéro de désignation de cette dernière.

Les écoles affiliées à Langues Canada ont alors conclu une entente avec le Cégep de la Gaspésie et des Îles, qui a accepté de les affilier, leur permettant du même coup d'utiliser son numéro de désignation.

La «maison qui rend fou»

La balle est alors tombée du côté du ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur (MEES) et de là, la machine administrative s'est enrayée, raconte Marie-Christine Morin.

«Le ministère de l'Immigration nous a dit que ça ne relevait plus de leur responsabilité et de nous adresser au MEES, mais le ministère de l'Enseignement supérieur n'a jamais été capable de nous confirmer si cette procédure allait vraiment marcher», raconte-t-elle.

Ce que cherchaient les écoles, c'était une confirmation écrite d'un ministère ou de l'autre que la désignation serait acceptée, confirmation qu'elles pourraient transmettre aux agences internationales de placement. Plusieurs appels de Langues Canada à cet effet sont demeurés vains.

De nombreux appels et envois de courriels par La Presse canadienne ont permis de constater que les deux entités - le MIDI et le MEES - avaient créé une situation qui n'est pas sans rappeler le célèbre épisode de la «maison qui rend fou» - du film «Les Douze travaux d'Astérix» - simplement parce que ni l'une ni l'autre ne voulait assumer la responsabilité de cette confirmation écrite.

Ainsi, un porte-parole du MEES nous a d'abord précisé que «c'est à Immigration Canada de décider si l'entente qui est signée entre ces écoles privées et le Cégep (de la Gaspésie et des Îles) est légitime (...) L'entente entre le Cégep et les écoles relevait strictement d'eux et pas du ministère de l'Éducation.»

Pourtant, un appel au MIDI placé par la suite nous indiquait que la reconnaissance de l'affiliation dépendait plutôt du MEES.

Un retour avec plus d'insistance auprès du MEES nous a valu un courriel indiquant qu'«aucune école de langues n'est présentement en attente du MEES pour obtenir une reconnaissance.»

«Dans le contexte des nouvelles règles d'immigration mises en place par le gouvernement fédéral, les écoles de langues »non reconnues« qui souhaitent accueillir des étudiants étrangers dans des formations de plus de six mois doivent dorénavant s'affilier, au niveau collégial, à un cégep ou à un collège privé, c'est-à-dire à un établissement "reconnu".»

On y ajoutait que «les cégeps et les collèges privés sont autonomes et à ce titre, ils peuvent conclure des ententes avec notamment des écoles de langues».

En d'autres termes, le MEES nous répétait la règle, ajoutant qu'une reconnaissance ne viendrait pas de lui et que les écoles pouvaient s'affilier à un cégep - ce qui ne le regardait pas puisque les cégeps sont autonomes - tout en ne se prononçant pas quant à savoir si une affiliation serait reconnue pour la délivrance d'un visa.

Nous sommes donc revenus à la charge auprès du MIDI pour lui poser une question bien simple: le MIDI émettra-t-il, oui ou non, les Certificats d'acceptation au Québec (CAQ) pour les étudiants qui présenteront la désignation du Cégep de la Gaspésie et des Îles pour un séjour d'études de plus de 24 semaines dans les 15 écoles de langue privées qui ont obtenu une affiliation de ce cégep?

Il a fallu deux jours d'appels et de courriels insistants pour finalement obtenir la réponse suivante du MIDI: «Dans la mesure où les organismes de formation en langues auxquels vous faites référence se sont bel et bien affiliés au cégep de la Gaspésie et des Îles (...), les étudiants étrangers qui souhaitent y étudier pourront mettre le numéro d'établissement désigné de ce cégep dans leur demande de CAQ. Le MIDI traitera ces demandes de CAQ sur la base d'un établissement reconnu.»

Il s'agit, à ce jour, de la seule confirmation écrite donnée par l'un ou l'autre des ministères, confirmation qui a été transmise à La Presse canadienne, mais qui n'a jamais été remise à Langues Canada ou aux 15 écoles du Québec qui en sont membres. On remarquera, cependant, que le MIDI refuse toujours d'admettre que les écoles sont affiliées... puisque cela ne relève pas de lui. Ni du MEES, qui invoque, on l'a vu, l'autonomie de l'institution collégiale.

Pourtant, cette confirmation du bout des lèvres, a-t-on appris par la suite, nous a été livrée à l'issue d'échanges de communications assez intensifs entre les instances des deux ministères et du Cégep de la Gaspésie et des Îles qui, clairement, a signifié aux intéressés que l'affiliation avait été faite.