La grève des ingénieurs du gouvernement dure depuis deux semaines aujourd'hui. Un document interne du ministère des Transports prédit que l'échéancier de la réfection de l'échangeur Turcot risque d'être touché par l'absence des ingénieurs du Ministère.

«Un retard de plus de deux semaines dans le contexte où l'échéancier des travaux est extrêmement serré entraînerait le report de certains travaux au printemps 2018», indique une «note ministérielle» signée par Stéphan Deschênes, de la Direction générale du projet Turcot, un document obtenu par La Presse.

On rappelle que les travaux prévus pour l'automne prochain ne peuvent être réalisés en hiver; le chantier n'avance pas entre novembre et avril. La direction du projet Turcot «estime donc qu'une grève de plus de deux semaines aurait pour effet de retarder les travaux d'environ neuf mois».

Facture de 90 millions

Les frais de retard pour l'entrepreneur privé feront grimper la facture de 90 millions. On prévoit aussi que le consortium Kiewit Cie et Parsons du Canada (KPH Turcot) facturerait 10 millions de plus pour produire un nouvel échéancier. On prévoit aussi que les heures de travail supplémentaires après la grève totaliseraient 18 millions. La facture totale de la grève des ingénieurs pour Turcot se chiffrerait à 118 millions, selon l'évaluation du Ministère.

« Une grève de deux semaines ou plus entraînerait une augmentation du coût total du projet Turcot », résume-t-on. Déjà, le coût de remplacement de l'échangeur était de 3,6 milliards pour un ouvrage livré en 2020.

Un tableau détaillé de l'ensemble des projets amorcés au Québec montre que deux chantiers préparatoires, totalisant 411 millions, sont frappés à Turcot, de loin le poste le plus important au Québec.Une autre note préparée par la Direction de la coordination des ressources territoriales observe qu'une «grève complète des ingénieurs pourrait quant à elle compromettre la réalisation de 892 chantiers (1,455 milliard) considérant que la capacité d'avoir recours à des ingénieurs-cadres au Ministère est limitée».

La note, signée par le directeur général Richard Dionne, poursuit : «la préparation des projets pour la prochaine année (2018) sera également affectée par un ralentissement important dans les étapes de conception et de préparation des plans et devis». La grève actuelle «se traduira par un impact important sur la réalisation de la programmation 2018».

Inspection ralentie

L'inspection des structures est sérieusement ralentie. «Quelque 2000 inspections doivent être faites annuellement sur le territoire, dont 75% sont faites à l'interne et les autres sont faites par des firmes, mais sous la supervision d'un ingénieur interne.» Les travaux d'entretien sont aussi touchés : de 20 à 30 % de ces tâches sont accomplies par des ingénieurs du gouvernement - « un budget de 150 millions pour l'entretien d'été pourrait être compromis », poursuit le document du Ministère. On prévient qu'il faudra évaluer la situation avant de donner le feu vert à un chantier, tenant compte du fait que le Ministère pourrait devoir payer la note si un projet piétine une fois les travaux amorcés.

M. Dionne soulignait aussi que le projet de Turcot devrait être arrêté si la grève durait plus de quatre ou cinq jours. La première semaine de grève est survenue en même temps que celle de la construction; c'est la semaine prochaine que la grève des ingénieurs aura un impact sur le plus grand chantier au Québec, explique Marc-André Martin, président de l'Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec.

1400 ingénieurs

Un autre document produit pour Stéphane Lafaut, sous-ministre adjoint, observe qu'au début du mois de mai, il y avait 82 chantiers amorcés qui devaient être inspectés par des ingénieurs du gouvernement; 15 projets totalisant 13 millions devaient démarrer la semaine suivante.

Des 1400 ingénieurs employés du gouvernement - une augmentation de 300 postes est survenue en 2012 -, Transports Québec se taille la part du lion avec 884 employés. On trouve aussi 247 ingénieurs à l'Environnement, et le reste est réparti dans l'ensemble des ministères et organismes.

Les négociations progressent à pas de tortue entre le gouvernement et ses ingénieurs - il n'y a pas eu d'échanges hier. En point de presse comme à l'Assemblée nationale, le président du Conseil du trésor, Pierre Moreau, a repoussé la demande syndicale d'une hausse salariale totalisant 20% sur sept ans. Les ingénieurs ont allongé de deux ans leur proposition, voyant un intérêt à ne plus devoir négocier «en phase» avec l'ensemble de la fonction publique.

Un retard salarial de 40%

Les ingénieurs de Québec font valoir qu'ils sont en retard de 40% par rapport au privé. Un ingénieur à Hydro-Québec gagne en moyenne 100 000 $ par année, comparativement à 74 000 $ pour un ingénieur du gouvernement.

En Chambre, le député de la Coalition avenir Québec Éric Caire a fait écho aux doléances des ingénieurs. En 2000, sur chaque million injecté dans des travaux, 96 000 $ allaient en sous-traitance à des firmes privées. Quinze ans plus tard, pour la même dépense, on est à 161 000 $, a souligné le caquiste, en demandant pourquoi Québec avait besoin du double de l'expertise externe.

«Parce que nous augmentons les investissements du gouvernement dans les infrastructures publiques», a souligné M. Moreau, mettant de côté le fait qu'on parlait de 1 million de dépenses dans les deux cas. «La réalité, c'est que nous avons augmenté de 61% le nombre d'ingénieurs, tellement vrai qu'en surveillance des travaux, on est passés de 16% à 38% surveillés à l'interne, et qu'en inspection des structures, on est passé de 43% à 71%. Les chiffres ont la tête dure, on augmente l'expertise interne», a conclu le président du Conseil du trésor.