Que l'Assemblée nationale puisse ultimement décréter les conditions de travail des employés municipaux en cas d'impasse ne suffit pas, selon les maires Denis Coderre et Régis Labeaume. Ils demandent à Québec de rayer de son projet de loi le recours à l'arbitrage, responsable à leurs yeux de la facture galopante des conventions collectives.

Les consultations en commission parlementaire ont débuté mardi au sujet du projet de loi 110 qui modifie le régime de négociation dans le secteur municipal. C'est deux ans presque jour pour jour après le débat sur la loi concernant le régime de retraite des employés des villes. Et on a assisté à la même collision entre les maires, qui saluent le « courage » du gouvernement, et les syndicats, qui déplorent « une autre attaque aux droits fondamentaux des travailleurs ».

Selon le projet de loi 110, l'Assemblée nationale pourrait à certaines conditions décréter les conditions de travail des employés municipaux si, en dépit d'une médiation, il y a impasse dans les pourparlers.

Le recours à la médiation serait obligatoire après 120 jours de négociation. Si on débouche sur un cul-de-sac malgré tout, les parties pourraient décider de poursuivre les pourparlers ou de demander conjointement le recours à un arbitre unique. Toutefois, l'une ou l'autre pourrait, « lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient », demander au ministre de nommer un mandataire spécial, un processus qui mènerait à l'intervention de l'Assemblée nationale. Ce mandataire ne serait pas un arbitre ; il conseillerait plutôt le ministre, qui soumettrait au vote, en Chambre, une proposition de convention collective.

De passage en commission parlementaire, les maires de Montréal, Denis Coderre, et de Québec, Régis Labeaume, se sont montrés dans l'ensemble satisfaits du projet de loi. Mais selon eux, le recours à l'arbitrage devrait être éliminé du projet de loi. 

À l'heure actuelle, « les décisions des arbitres sont wishy-washy parce qu'ils cherchent à ne pas trop déplaire » aux deux parties, dans l'espoir d'obtenir d'autres mandats dans le futur, a déploré M. Labeaume. « Ils ne sont pas indépendants » à ses yeux. 

« L'arbitrage, c'est une phobie pour nous autres ! a-t-il lancé. Ça nous a mené à l'écart de 40 % » à l'avantage des employés municipaux par rapport à ceux de l'administration publique québécois en ce qui concerne la rémunération globale. Cette donnée provient de l'Institut de la statistique du Québec (ISQ).

« Philosophiquement, a dit M. Labeaume, on a des problèmes à avoir un arbitre dans le processus, quelqu'un qui a la capacité de décider à notre place. Ça a eu des vices dans le passé, on ne veut pas revivre ça. Et en termes de responsabilisation, on trouve ça incorrect par rapport aux élus. »

« On n'accepte plus qu'un tiers décide à notre place, c'est assez simple. À part le ministre. Vous savez, les villes auraient voulu avoir le droit de décréter, mais constitutionnellement, elles ne peuvent pas », a-t-il ajouté. Que ce soit l'Assemblée nationale à qui l'on reconnaît ce pouvoir, « c'est la meilleure chose qu'on puisse faire » dans les circonstances selon lui.

Denis Coderre a renchéri lorsqu'il est passé à son tour devant les parlementaires : « On pense qu'on devrait laisser tomber la question de l'arbitrage ». Les villes devraient pouvoir directement passer à la nomination d'un mandataire spécial, donc à l'intervention du gouvernement dans le dossier, après une médiation infructueuse. Il a fait valoir que l'arbitrage est déjà inscrit dans le Code du travail, mais qu'il ne devrait pas apparaître comme une étape dans le régime de négociation du secteur municipal. « On ne veut pas revenir dans le même système que celui qui existe à l'heure actuelle », a-t-il dit.

Advenant le cas où le gouvernement n'accepte pas leur proposition, les deux maires ont mis sur la table une « solution de compromis » : les arbitres devraient être nommés de façon « permanente », un peu comme les juges, afin de garantir leur indépendance. 

MM Coderre et Labeaume ont également demandé que les villes puissent, en cas d'impasse, adopter une proposition de règlement de convention collective au conseil municipal afin que le mandataire spécial en fasse l'évaluation avant de donner ses conseils au ministre.

De leur côté, la FTQ et la CSN ont demandé le retrait du projet de loi. Pour le président de la FTQ, Daniel Boyer, cette pièce législative est « inutile ». Au cours des dix dernières années, plus de 95 % des conventions collectives ont été réglées sans conflit de travail, a-t-il fait valoir. Il trouve inacceptable que Martin Coiteux, « le ministre des maires », se mette à « tripoter le Code du travail ». Il se demande pourquoi la ministre du Travail, Dominique Vien, n'est pas responsable du dossier.

Les syndicats contestent également les conclusions de l'ISQ au sujet de l'écart de rémunération. Bien souvent, les corps de métiers ne peuvent être comparés entre eux, surtout pour les cols bleus. L'ISQ surestime le pourcentage accordé aux avantages sociaux des employés municipaux, croient-ils. 

Le président de la CSN, Jacques Létourneau, a soutenu que le projet de loi repose sur de « fausses prémisses ». « Contrairement, à ce qu'on nous laisse croire, il n'y a pas une situation alarmante ou dramatique en termes de relations de travail dans le monde municipal. C'est une légende urbaine qu'il faut déconstruire. » Il nie également tout déséquilibre dans le rapport de force en faveur des syndicats.

Martin Coiteux n'en démord pas : le statu quo est inacceptable. « On doit amener le régime de négociation des conventions collectives dans le secteur municipal au 21e siècle. Il ne faut pas avoir cette vision héritée du passé où c'est capital contre travail. Une ville, ce n'est pas une entreprise privée qui négocie dans l'intérêt d'actionnaires. Ça négocie dans l'intérêt de l'ensemble de ses citoyens », a-t-il plaidé.

Certes, des villes en viennent à des règlements négociés avec leurs employés, mais « à un coût qui est largement supérieur à ce qu'on voit dans le secteur public québécois. Cet écart a augmenté à travers le temps, c'est signe qu'il y a un problème. »

« Les mécanismes actuels sont basés sur une relation antagonisante entre les deux parties qui ne tient pas compte de l'intérêt public aussi pleinement qu'on le souhaite », a-t-il ajouté.

La Coalition avenir Québec appuie le projet de loi. Le Parti québécois ne s'y oppose pas d'emblée, mais il déplore le « flou » entourant certaines dispositions. Québec solidaire épouse la cause des syndicats.

Dans le cas des policiers et des pompiers, le projet de loi prévoit qu'en cas d'impasse dans les négociations, on aurait plutôt recours à un Conseil de règlement des différends formé de trois experts, dont la décision serait exécutoire. Ce Conseil devrait tenir compte de « la situation financière et fiscale de la municipalité et l'impact de la décision à l'égard des contribuables ». Ces dispositions satisfont les maires Labeaume et Coderre. Mais les syndicats de pompiers et de policiers les réprouvent.