Claire Kirkland-Casgrain a cumulé les «premières» au cours de sa vie et même après son décès, elle en aura réalisé une autre, celle d'être la première femme à recevoir des funérailles nationales, qui ont été célébrées samedi à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde, à Montréal.

Quelques centaines de personnes sont allées saluer celle qui a été une pionnière de la politique et de la société québécoise: non seulement elle fut la première femme élue à l'Assemblée nationale, mais aussi la première femme ministre et la première femme juge au Québec.

Plusieurs dignitaires de la scène politique provinciale et fédérale étaient présents. On a pu notamment voir les ex-premiers ministres du Québec Jean Charest et Pauline Marois, le chef du Parti Québécois Pierre Karl Péladeau et celui de la Coalition avenir Québec, François Legault, mais aussi des politiciens fédéraux comme le ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion et le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) Thomas Mulcair.

Le premier ministre actuel Philippe Couillard a été le premier à livrer un discours au tout début de la sobre cérémonie.

Dans son allocution, M. Couillard est allé d'une anecdote toute personnelle, relatant une conversation qu'avaient eue ses parents sur le statut des femmes alors qu'il était enfant - ils discutaient en l'occurrence de la Loi sur la capacité juridique des femmes mariées, qu'a fait adopter Claire Kirkland-Casgrain en 1964.

M. Couillard a conclu qu'elle était «l'un des plus beaux exemples» dont pouvaient s'inspirer les femmes.

«Nous sommes conscients du chemin parcouru et du chemin qu'il nous reste à faire. Et il en reste», a-t-il dit.

«Pionnière est le bon mot pour décrire l'apport inestimable de Claire Kirkland-Casgrain à l'avancement du Québec vers la modernité».

M. Couillard a souligné qu'en 2012, le Québec a élu la première femme première ministre de son histoire, Pauline Marois, qui était présente dans la cathédrale. «Une avancée dont il faut souligner le lien avec celle dont la mémoire nous rassemble ici», a-t-il ajouté.

Mme Marois avait qualifiée la défunte de femme «remarquable, avec beaucoup de caractère», peu avant d'entrer dans la cathédrale.

«Elle a vraiment brisé pour nous les femmes quelques plafonds de verre», a-t-elle déclaré sur le parvis.

Après le discours du premier ministre, la fille de la défunte, Line Casgrain, et son mari, l'avocat bien connu Julius Grey ont pris la parole, suivis de l'ex-bâtonnière Julie Latour, épouse du fils de Mme Kirkland-Casgrain.

Line Casgrain a parlé de sa mère, une «super femme», inépuisable, qui a été très présente pour ses enfants.

Elle a expliqué que ses deux parents partageaient les mêmes valeurs, et voyaient «un urgent besoin de brasser le Québec et de le moderniser».

«Je suis fière de dire que ma mère a fait la révolution tranquille, qui a bénéficié à tous», a-t-elle déclaré, devant le cercueil acajou de sa mère, sur lequel se trouvait un bouquet de fleurs roses et rouges.

La cérémonie religieuse a duré environ 90 minutes et a été ponctuée de chants.

La coporte-parole de Québec solidaire, Françoise David, a rappelé que la femme a été une véritable artisane de la révolution tranquille, mais que l'ampleur de sa contribution a été un peu oubliée, comme cela arrive souvent aux femmes dans l'histoire.

Pourtant, avec la loi sur la capacité juridique de la femme mariée, «Elle a donné aux femmes l'équivalent de la nationalisation d'Hydro-Québec pour tout le monde», a-t-elle illustré.

Pour Jean Charest, «la vie de Mme Kirkland-Casgrain c'est un marqueur de l'histoire du Québec à la fois sur le plan politique mais aussi sur le plan social».

Le ministre Stéphane Dion, qui représentait pour sa part le gouvernement fédéral, a tenu à souligner qu'il n'était pas si loin le temps où les femmes vivaient sous l'autorité des hommes au Québec, et qu'il fallait encore travailler à parfaire l'équité entre les sexes ici et ailleurs.

Le chef néo-démocrate Thomas Mulcair a souligné pour sa part que Mme Kirkland-Casgrain avait terminé sa vie en «ouvrant encore une porte» puisqu'elle est la première femme à recevoir des funérailles nationales.

Claire Kirkland-Casgrain est décédée le 24 mars, à l'âge de 91 ans. Elle sera enterrée à Lachine, là où ses parents reposent.

Elle avait été élue la première fois en 1961 sous la bannière libérale lors d'une élection partielle dans la circonscription de Jacques-Cartier, dans l'ouest de l'île de Montréal. Elle avait alors obtenu une majorité de 23 875 voix. Elle a ensuite servi dans les cabinets des premiers ministres Jean Lesage et Robert Bourassa. En 1973, elle avait quitté son siège de députée pour devenir juge de la Cour provinciale.

Mémoire saluée

Plusieurs politiciens et ex-politiciens se sont déplacés aux funérailles nationales de Claire Kirkland-Casgrain pour rendre un dernier hommage à celle qui est perçue comme une pionnière dans les milieux politique et juridique.

Voici les réactions des dignitaires qui étaient présents à la cérémonie:

Philippe Couillard, premier ministre du Québec

« Si on regarde le chemin important accompli par les femmes au Québec, elle occupe une grande partie de l'origine de ce chemin-là, mais il reste du chemin à faire [...] Ça semble incroyable aujourd'hui, en 2016, de penser qu'il a fallu légiférer pour reconnaître à la femme mariée son autonomie légale. Incroyable. Mais il fallait le faire, c'était en 1964, alors oui du chemin parcouru, comme le vote des femmes en 1940. Alors merci à Claire Kirkland-Casgrain. »

Pauline Marois, ex-première ministre du Québec

« C'est une femme remarquable. Elle a vraiment brisé pour nous les femmes quelques plafonds de verre [...] C'était une femme très agréable, elle avait du caractère, ça s'entendait, ça se voyait, mais je crois que ça en prenait pas mal pour faire ce qu'elle a fait au moment où elle l'a fait. Alors c'était vraiment quelqu'un avec laquelle on avait le goût d'échanger, parce qu'elle avait des idées claires et elle savait où elle s'en allait. C'est une femme qui avait du talent et qui avait du caractère. »

Jean Charest, ex-premier ministre du Québec

« [Elle a eu] le courage de se présenter. Être la première en soi, juste être la première, dans un environnement où il n'y a que des hommes [...]  Dans mon enfance, mon adolescence, la place qu'avaient les femmes dans la société, c'est très différent de ce que nous avons aujourd'hui. Aujourd'hui on a raison de saluer sa vie et, avec un peu de chance, tourner le regard vers l'avenir et se dire qu'il y a encore plus à faire. »

Pierre Karl Péladeau, chef du Parti québécois

« C'est une pionnière qui a tracé le chemin pour les femmes pour la politique, l'action communautaire, la justice. C'est une grande dame. [Ça a pris] beaucoup de courage dans un environnement qui était dominé par les hommes. »

François Legault, chef de la Coalition avenir Québec

« C'était une grande leader. Ça prend des personnes pour commencer, puis être devant la parade et elle a été la première. Donc elle a permis à d'autres que ce soit un petit peu plus facile, quoi qu'il y a encore beaucoup de travail à faire [...]  Il fallait avoir du cran et elle en a eu. On doit par respect pour elle continuer le travail. »

Françoise David, coporte-parole de Québec solidaire

« C'est une artisane véritable de la Révolution tranquille, mais comme ça arrive souvent aux femmes, elle est trop oubliée. On parle de Jean Lesage, de René Lévesque, de Paul Gérin-Lajoie, mais pourquoi on ne parle pas d'elle qui a donné aux femmes l'équivalent de la nationalisation d'Hydro-Québec? »

Stéphane Dion, ministre des Affaires étrangères

« On rend hommage à une pionnière, on rend hommage à une contemporaine. Il faut se rappeler que ça fait seulement 50 ans que devant la loi, la femme québécoise a cessé d'être sous la puissance de l'homme. [Elle] a décidé qu'elle serait la première femme non seulement à l'Assemblée nationale, mais qui ferait ce changement fondamental. Elle l'a fait avec beaucoup de courage contre beaucoup de gens des deux sexes à l'époque. »

Thomas Mulcair, chef du Nouveau Parti démocratique

« Claire Kirkland-Casgrain est une femme qui a vraiment marqué l'histoire du Québec au niveau politique, mais aussi au niveau social et juridique. C'est une femme qui a ouvert des portes toute sa vie pour d'autres femmes, pour les générations à venir et c'est tout à fait approprié qu'aujourd'hui, la dernière chose, c'est d'ouvrir encore une porte parce que c'est la première fois qu'une femme reçoit des funérailles nationales. »