Durant le règne de Pierre Karl Péladeau, Québecor n'aurait payé qu'un taux d'imposition de 11,6 % au Canada sur des profits de 3,5 milliards engrangés entre 1999 et 2012, a rapporté l'émission Enquête jeudi soir. Québécor balaie du revers de la main ces « affirmations trompeuses » et rétorque avoir plutôt payé un taux effectif d'impôt de 38 % au cours de cette période partout dans le monde.

Le reportage de Radio-Canada ne démontre pas hors de tout doute que le géant des télécommunications se serait servi de dizaines de filiales dans des paradis fiscaux pour faire de l'évitement fiscal. Toutefois, Enquête laisse entendre que des stratégies fiscales légales auraient permis à Québecor de diminuer son taux d'imposition au Canada bien en deçà de 22 %, la moyenne des entreprises canadiennes durant la même période. Ces données ne semblent toutefois pas tenir compte des impôts payés par Québecor dans le reste du monde.

Jeudi soir, dans sa réplique au reportage, Québecor a affirmé avoir payé 774 millions en impôts au Canada et partout dans le monde de 1999 à 2012, ce qui représente 24 % de son bénéfice net avant impôt. Une autre somme de 447 millions a aussi été enregistrée à titre d'impôts reportés. Cela représente 14 % du bénéfice net de l'entreprise avant impôts, pour un total de 38 %.

L'entreprise s'est montrée très critique à l'endroit de l'équipe d'Enquête, critiquant le « sérieux de la démarche » et les « calculs hasardeux » de la journaliste Madeleine Roy. « Mme Roy aurait dû savoir que la simple lecture de nos états financiers ne lui permet pas de tirer de telles conclusions », peut-on lire dans le communiqué.

Québécor rappelle que le taux d'imposition se calcule selon le revenu imposable d'une entreprise, et non pas son revenu total. Une entreprise peut ainsi diminuer son revenu total en utilisation des pertes reportées ou en amortissant des dépenses en immobilisations. « Ne pas tenir compte de ces règles fiscales fondamentales ne peut que mener à des conclusions erronées », écrit-on. On ne sait pas précisément sur quel chiffre s'est basée Radio-Canada pour obtenir un taux d'imposition de 11,6 %. Il n'a pas été possible de parler avec un représentant de Québecor jeudi soir.

La Presse avait révélé la semaine dernière que Quebecor World, filiale de Québecor jusqu'en 2008, avait créé une dizaine de sociétés et de succursales dans des pays au régime fiscal avantageux, comme la Suisse, l'Islande et le Luxembourg. M. Péladeau était l'une des têtes dirigeantes de la filiale d'imprimerie durant ces années.

Selon Radio-Canada, c'est plutôt 33 sociétés et succursales semblant être liées à Québecor qui sont incorporées dans des paradis fiscaux. Parmi celles-ci, 21 entités ont un lien clair avec la filiale Quebecor World, avance Enquête. Ces entités se trouvent à la Barbade, dans les îles Vierges britanniques, en Irlande, au Luxembourg, au Panama et en Suisse. Trois expertes en fiscalité interrogées par Enquête soutiennent que la multiplication d'entités de Québecor dans des paradis fiscaux s'apparente à une stratégie d'évitement fiscal, ce qui est parfaitement légal. Elles n'ont toutefois pas pu certifier que Québecor avait utilisé ce stratagème.

Le chef du Parti québécois et propriétaire de contrôle de Québécor, Pierre Karl Péladeau, avait pourtant déclaré après un débat des candidats à la direction du PQ que « Québécor, sous ma direction, n'a jamais eu de filiales dans les paradis fiscaux ». Quelques mois plus tôt, il avait fait des affirmations semblables au micro de Paul Arcand au 98,5 FM. « Chez Québecor, durant les 14 années où j'ai été à la direction de Québecor Média, on n'a jamais utilisé ce qu'on appelle, de la façon dont vous le décrivez, pour des fiscalistes ça s'appelle des schemes [schémas] fiscaux. Il n'y en a jamais eu chez Québecor » M. Péladeau n'a pas voulu émettre de commentaires jeudi soir.

Dans un communiqué de presse diffusé lundi au sujet des « insinuations mensongères » de Radio-Canada, Québecor s'est défendue d'avoir déjà créé des compagnies dans des « juridictions qualifiées de "complaisantes" en matière de fiscalité », autant pour la société mère que pour la filiale Québecor Média. L'entreprise soutient toutefois avoir hérité de plusieurs « compagnies enregistrées dans de tels territoires », mais n'avoir « jamais bénéficié d'avantages fiscaux relativement à celles-ci» et les avoir «toutes démantelées, sans exception, au fil du temps ».

Étant donné que Québecor n'est plus propriétaire de contrôle de la filiale Québecor World depuis 2008, l'entreprise dit ne pas pouvoir confirmer ni infirmer le lien qu'entretiendraient certaines sociétés et succursales dans des paradis fiscaux avec son ex-filiale. Québecor précise aussi que trois entreprises mentionnées dans le reportage n'ont « jamais été créées, détenues, ni même utilisées par Québecor ou Québecor Média ». Une de ces entreprises, « Le Groupe Vidéotron Ltée », établie à Montréal, a été enregistrée à la Barbade comme « entreprise extérieure » (external company) le 31 mai 1996, à l'époque où la famille Chagnon était actionnaire majoritaire de Vidéotron. Propriétaire de Vidéotron depuis 2000, Québecor n'avait aucun lien avec Vidéotron lors de l'enregistrement du « Groupe Vidéotron Ltée » à la Barbade en 1996.

S'enregistrer comme « entreprise extérieure » est notamment une façon de pouvoir bénéficier du régime fiscal avantageux (taux d'imposition de 1 à 2,5 %) dont jouissent les « international business companies » (IBC) à la Barbade, à condition de payer les frais d'enregistrement annuels. Mais ces frais n'ont pas été payés depuis 1996, selon Québecor. « C'est un droit de faire des affaires qui n'existe plus à notre avis [depuis 1997]. Le droit de faire des affaires là-bas n'a pas été renouvelé, rien n'a été transféré chez nous [lors de l'acquisition de Vidéotron par Québecor en 2000] », dit Martin Tremblay, vice-président des affaires publiques de Québecor, qui considère ne pas avoir « créé, détenu ou même utilisé » le Groupe Vidéotron Ltée à la Barbade. Le Groupe Vidéotron Ltée apparaît au registre des entreprises de la Barbade, car aucune dissolution n'a été officiellement produite.

- Avec la collaboration de Vincent Brousseau-Pouliot