Contrats accordés sans devis, sans estimation ou de façon rétroactive, octrois de gré à gré à répétition et dépassements de coûts. Un rapport d'audit interne transmis le printemps dernier tend à démontrer que le ministère des Transports (MTQ) est loin d'avoir tourné la page sur les années noires révélées par les travaux de la commission Charbonneau, a appris La Presse.

Selon nos sources, ce rapport soulève des problèmes de non-conformité aussi troublants que les conclusions de «situations à risque» auxquelles était arrivé le vérificateur général du Québec, en 2009. Le blâme au plus gros donneur d'ouvrage du gouvernement avait alors été sans équivoque et a été l'un des éléments déclencheurs de la commission Charbonneau.

Cet audit fait suite à l'attribution de 40 contrats à des firmes de génie-conseil dans sept directions territoriales (DT) notamment en Montérégie et dans la région de Laurentides-Lanaudière. Il s'agissait de s'assurer que le travail de validation par des experts du Ministère, qui avait conclu à la conformité de 39 des 40 dossiers contractuels et ainsi permis la signature des contrats, correspondait bien à la réalité. Or, l'audit est parvenu au constat exactement inverse: un seul dossier respectait le processus d'adjudication des contrats.

Informé cet automne de la teneur du rapport d'audit, un an après les faits, le ministre des Transports Robert Poëti dit prendre très au sérieux la situation bien qu'elle ne semble pas reliée, selon lui, à un problème de collusion ou de corruption. «Ça peut paraître comme des détails administratifs, mais selon moi, ce n'est pas normal. Le nombre de non-conformités est trop élevé. [...] Il y a des ajustements à faire et au Ministère, ils sont en train de les faire», a indiqué à La Presse le ministre.

Le directeur des enquêtes et de l'audit interne au MTQ, Michel Boulard, a toutefois souligné que l'audit ne concerne que 9% de tous les contrats de services professionnels accordés par les directions territoriales. Ces dernières sont le coeur du MTQ, puisque c'est là que la très grande majorité des contrats de conception, de construction et de réfection du réseau routier du Québec est attribuée.

Validation sous influence?

Mais comment expliquer que 39 dossiers contractuels jugés conformes n'étaient plus conformes aux normes lors de l'audit? Le sous-ministre associé André Caron, responsable des 14 directions territoriales, pointe en direction des professionnels en conformité des processus (PCP), ces fonctionnaires qui étaient dans «un nouveau rôle» et qui manquaient de «formation», selon lui.

Pourtant, comme le reconnaît Michel Boulard, le rapport d'audit souligne aussi le manque «d'indépendance» des PCP par rapport à leur employeur. Les PCP relèvent hiérarchiquement des directions territoriales qu'ils doivent pourtant vérifier.

Des sources ont relaté à La Presse que la situation est invivable pour les PCP qui, s'ils se montrent trop critiques, craignent les représailles lorsque viendra le temps de leur évaluation de rendement ou du choix de leurs vacances, par exemple. Selon nos informations, il semble que certains des PCP auraient fait l'objet de pressions internes et même d'intimidation pour garantir la conformité de certains dossiers.

«Ça n'est pas acceptable. Mais je n'ai pas été avisé qu'il y a eu de l'intimidation», affirme Robert Poëti.

Ce dernier a demandé à la sous-ministre en titre, Dominique Savoie, d'analyser la situation des PCP et d'apporter les corrections qui s'imposent. «Pourquoi les PCP dépendent-ils des directions territoriales? Selon moi, ils devraient relever du central pour protéger leur indépendance. La perception est parfois plus importante que la réalité», croit-il.

Du côté du Ministère, André Caron soutient également ne pas avoir été informé que des PCP auraient subi des pressions. «Je peux vous assurer que si je suis mis au courant qu'il y a des pressions pour influencer le travail, il y aurait des mesures immédiates contre les directeurs. C'est clair pour moi. C'est tolérance zéro», a tranché le sous-ministre associé.

De vérificateur à pcp

Auparavant, ces professionnels en conformité de processus occupaient, pour la plupart d'entre eux, des postes de vérificateur faisant partie de l'équipe d'audit du MTQ. Leurs fonctions avaient même été brandies sur la place publique par le gouvernement comme mesure pour contrer les problèmes soulevés par le vérificateur général, en novembre 2009.

En effet, une semaine après la présentation du rapport du vérificateur général, la ministre des Transports de l'époque, Julie Boulet, annonçait que 14 vérificateurs seraient embauchés, un pour chacune des directions régionales. Leur rôle était de s'assurer qu'avant la signature d'un contrat, tout soit en règle.

Mais en 2011, le gouvernement a changé d'idée en toute discrétion: les 14 vérificateurs qui devaient agir comme rempart de l'intégrité des contrats ont eu «les mains attachées» à titre d'employés des directions territoriales, a expliqué une source à La Presse.

Plan d'action

Le rapport d'audit a été achevé en décembre 2014, mais il n'a été transmis qu'en mai 2015 aux autorités du MTQ. Entre-temps, le responsable des 14 directions territoriales, le sous-ministre associé Caron, a pris connaissance des conclusions et a entrepris d'apporter des corrections. Mais ce plan d'action a fait l'objet d'une deuxième version et il est toujours en cours.

Parmi les mesures adoptées, une rencontre des directeurs des directions territoriales (DT) a été tenue afin de clarifier le rôle des PCP; des DT auraient exigé que des non-conformités soient plutôt réduites à de simples commentaires, explique M. Caron.

Une personne a même été embauchée avec le mandat de contrôler le travail des PCP; cette personne relève de M. Caron et non pas des directions territoriales.

Un programme de formation a été élaboré. Tous les «répondants en gestion contractuelle» du Ministère, y compris les PCP, ont l'obligation de suivre le programme. Cela se met en place à l'heure actuelle.

De plus, la direction des enquêtes et de l'audit entend procéder à une nouvelle vérification, avec un nouvel échantillonnage, sur la conformité des dossiers contractuels d'ici un an.

Le ministre Poëti se montre toutefois plus exigeant. «Je pars du principe qu'il faut regarder partout. Des audits, il va y en avoir dans toutes les directions territoriales», a-t-il donné l'assurance.