Dans l'espoir de dissiper les critiques, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a déposé jeudi une série d'amendements à son projet de loi visant à contrer les « discours haineux ». Elle clarifie ce concept et retire l'idée de créer une « liste noire » des contrevenants.

Des juristes et plusieurs autres témoins entendus lors des consultations publiques ont déploré le caractère flou de la notion de «discours haineux». Ils craignent que la liberté d'expression ne soit brimée.

« Pour dissiper toute ambiguïté quant à ce que constitue ou ne constitue pas un discours haineux, et malgré le fait que le concept soit bien connu de la jurisprudence, je vais vous proposer que le concept soit défini », a affirmé Mme Vallée en commission parlementaire où l'on entame l'étude détaillée du projet de loi. « Ainsi, il pourrait être prévu qu'un discours haineux est un discours qui, aux yeux d'une personne raisonnable, est d'une virulence ou d'un extrême tel qu'il est susceptible d'exposer ce groupe à la marginalisation ou au rejet, à la détestation, au dénigrement ou à l'aversion notamment pour que ce groupe soit perçu comme étant illégitime, dangereux ou ignoble. »

Pour « clarifier les circonstances dans lesquelles le projet s'inscrit », la ministre ajoute au titre de sa pièce législative que celle-ci vise à « lutter notamment contre la radicalisation ». Dans le préambule, elle précise qu'il est « attendu qu'il y a lieu de prévenir et de lutter contre la radicalisation, l'intimidation et la marginalisation fondées sur un motif de discrimination ».

Le projet de loi accorde un pouvoir d'enquête à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) pour détecter les « discours haineux » ou « incitant à la violence » contre des groupes de personne. La Commission « doit saisir le Tribunal des droits de la personne lorsqu'elle considère qu'il existe des éléments de preuve suffisants pour déterminer si une personne a tenu ou diffusé un discours haineux ». Or un amendement propose que, même si la preuve est suffisante, la Commission puisse diriger la personne à une « ressource plus appropriée à sa situation » que le Tribunal, comme la Direction de la protection de la jeunesse, le Curateur public ou une direction d'école.

Le projet de loi prévoyait que le Tribunal des droits de la personne impose systématiquement une amende à un individu reconnu coupable d'avoir tenu de tels discours. Un amendement prévoit que le Tribunal pourrait imposer d'autres « mesures de redressement » : outre le paiement d'une amende, « l'admission de la commission de l'acte reproché, la cessation de cet acte ou l'accomplissement d'un acte ».

La première mouture du projet de loi faisait en sorte que le nom d'une personne reconnue coupable figure sur une liste accessible sur Internet. On a qualifié cette mesure de « liste noire » ou de « liste de la honte » au cours des consultations publiques. Stéphanie Vallée a décidé de retirer cette disposition parce qu'elle aurait causé selon plusieurs « plus de désagréments que d'éléments favorables ». Elle a rappelé que les jugements sont de toute façon accessibles dans des banques de données.

La ministre a consacré plusieurs minutes de ses remarques préliminaires à la défense du bien-fondé de son projet de loi. « Il s'inscrit dans une volonté de défendre et de promouvoir les libertés fondamentales tout en assurant la sécurité des Québécois », a-t-elle plaidé. Le projet de loi « ne vise pas à sanctionner les membres d'une communauté religieuse en particulier, mais toute personne, homme ou femme, catholique, musulmane, juive ou athée qui diffuse un discours haineux, qui incite à la violence ». La ministre a ajouté que la Cour suprême reconnaît que « l'interdiction du discours haineux se justifie dans une société libre et démocratique ». Ce n'est pas contraire aux chartes des droits, a-t-elle insisté.