Les larmes de la ministre de la Sécurité publique Lise Thériault n'ont pas ému l'opposition à l'Assemblée nationale, qui lui a reproché d'être restée les bras croisés devant des allégations d'agressions sexuelles et d'abus de pouvoir commis à l'endroit d'autochtones par des policiers de la Sûreté du Québec (SQ) à Val-d'Or.

Le Parti québécois et Québec solidaire s'expliquent mal que la ministre Thériault ait attendu à hier pour suspendre les huit policiers visés par une enquête interne de la SQ et à confier cette enquête au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

La députée solidaire Manon Massé rappelle que la ministre a été informée à la mi-mai du comportement allégué des agents de la SQ affectés au poste de la MRC de la Vallée-de-l'Or. Selon elle, Mme Thériault aurait dû agir sur-le-champ pour que les policiers en cause soient suspendus.

« Je trouve ça tellement inacceptable ! a dénoncé Mme Massé. C'est comme si elle cautionne la culture d'impunité. »

Sa collègue du PQ, Carole Poirier, a abondé en ce sens.

« Ça a pris un reportage, ça a pris des mois pour qu'elle prenne conscience du fait qu'un policier fait enquête sur un confrère qui a agressé une femme », a dénoncé Mme Poirier.

THÉRIAULT EN LARMES

La ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, a réagi avec émotion devant les révélations de Radio-Canada, hier. Elle a gardé un long silence en plein point de presse pour contenir ses larmes.

« Je suis aussi choquée que la population. »

- Lise Thériault, ministre de la Sécurité publique

La ministre a annoncé que les huit policiers visés par l'enquête - cinq à Val-d'Or, trois ailleurs au Québec - ont été placés en « retrait administratif ». Le directeur par intérim du poste local de la SQ a été évincé et remplacé par une capitaine de l'extérieur de la région. La sous-ministre aux affaires policières a été dépêchée à Val-d'Or pour prendre connaissance des faits nouveaux concernant cette affaire.

Surtout, l'enquête qu'a lancée la Direction des normes professionnelles de la SQ a été confiée au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui a déclaré que ses enquêteurs vont « communiquer systématiquement avec tous les plaignants de ce dossier ».

La ministre Thériault s'est défendue de ne pas avoir réagi plus vite.

« On n'aurait pas pu faire plus, a-t-elle affirmé. Dans le reportage, il y a des faits qui n'ont pas été portés à la connaissance des policiers. »

Le travail d'enquête mené par la SQ était adéquat et suivait le processus, a-t-elle assuré. Mais elle reconnaît que la population doute que le corps policier soit en mesure d'enquêter sur ses propres agents.

Un reportage diffusé jeudi soir fait état de 14 événements impliquant huit policiers entre 2002 et 2015. Au total, 12 plaignants se sont manifestés.

Une femme a déclaré au diffuseur public avoir été amenée par des policiers dans un chemin isolé. Les agents lui auraient demandé qu'elle leur fasse une fellation en échange de 200 $. Une autre a parlé d'une intervention au cours de laquelle des policiers auraient détruit son téléphone cellulaire et lancé ses souliers dans la neige avant de l'abandonner sur une route à des kilomètres de chez elle.

La direction de la SQ s'est dite choquée par ces allégations.

« La SQ estime que ces comportements allégués sont complètement inacceptables. »

- Guy Lapointe, responsable des relations médias de la Sûreté du Québec

Du côté de l'association syndicale des agents de la SQ, on refuse strictement de commenter le dossier ou - de façon plus générale - les relations entre policiers et autochtones. « On ne fait jamais de commentaire lorsqu'une enquête est ouverte », a affirmé Laurent Arel, responsable des communications de l'Association des policières et policiers provinciaux.

ENQUÊTE INDÉPENDANTE

Le chef péquiste Pierre Karl Péladeau a appelé le gouvernement Couillard à mandater un organisme indépendant des corps policiers pour enquêter sur les allégations, hier. Les appels en ce sens se sont multipliés hier.

La Coalition avenir Québec a réclamé la mise sur pied d'une commission d'enquête sur les abus de pouvoir et les agressions sur des femmes autochtones.

Le chef de la Première Nation Abitibiwinni, David Kistabish, a pour sa part lancé un appel au gouvernement fédéral. Il a pressé le premier ministre désigné Justin Trudeau de mettre en oeuvre « dès maintenant » sa promesse d'instaurer une commission d'enquête publique sur les femmes autochtones disparues ou assassinées.

Les autochtones de Val-d'Or ont fait écho à la demande du chef de l'Assemblée des Premières Nations Ghislain Picard, qui réclamait, il y a déjà deux semaines, une enquête publique à la suite des révélations de La Presse sur la mort violente ou suspecte de 259 enfants autochtones. En entrevue plus tôt cette semaine, le ministre québécois des Affaires autochtones Geoffrey Kelley s'est dit ouvert à une telle enquête à condition qu'elle soit inclusive.

En conférence de presse, le chef de la communauté algonquienne a tenu le même discours en parlant d'une enquête qui devrait se faire dans un dialogue « de Nations à Nations ». Il a aussi mentionné qu'il fallait faire la lumière sur les morts d'enfants ignorées.

- Avec Philippe Teisceira-Lessard, Caroline Touzin et La Presse Canadienne