Éjecté du poste de leader parlementaire par Pierre Karl Péladeau, le vétéran péquiste de la circonscription de Chicoutimi, Stéphane Bédard, démissionne. Il conservera sa prime de départ, a appris La Presse.

« M. le président, j'annonce que je quitte mes fonctions de député de Chicoutimi », a déclaré M. Bédard au Salon bleu du parlement jeudi. Il a expliqué que les quatre dernières années ont été pour lui « éreintantes » et « épuisantes ». « Je ne sais pas ce que l'avenir me réserve, mais je me dois de faire un arrêt. Autant d'intensité a laissé quelques cicatrices », a-t-il soutenu.

Ce père de trois enfants a aussi invoqué des raisons familiales. « Après une longue réflexion, j'en suis venu à la conclusion que le temps est venu de leur redonner ce qu'ils m'ont si généreusement offert. Le temps passe, et je crois sincèrement que je ferai une erreur irréparable de me priver de ces moments de la vie qui ne reviennent jamais. »

Devant la presse parlementaire, Stéphane Bédard a minimisé l'apparent différend avec son chef. La déception de ne pas avoir un poste plus prestigieux n'est pas en cause, a-t-il dit. « Si ça avait été le cas, j'aurais quitté bien avant. De l'opposition, j'en ai quand même fait pas mal. Vous avez vu dans mes années, plus qu'à mon tour. Non, ma fierté d'être député de Chicoutimi m'a toujours guidée. »

Son départ est-il un signal que le mouvement souverainiste est mal en point ? « Depuis que je suis ici j'ai vu des gens formidables, malheureusement, faire le choix d'une autre vie. C'est légitime et c'est normal. J'ai commencé sous Lucien Bouchard. J'ai eu la chance de voir M. Lévesque, de lui parler. J'ai vu Bernard Landry, j'ai vu Pauline Marois. Nous sommes un grand parti avec de grandes idées et des militants partout dans le Québec. Donc ça n'a rien à voir avec le destin d'un seul homme ou d'une seule femme. »

Plus tôt, au Salon bleu, Stéphane Bédard a souligné la confiance que lui a témoignée Pauline Marois, qui l'a nommé à la fois président du Conseil du trésor et leader parlementaire - du jamais vu. Il a glissé un mot au sujet de Pierre Karl Péladeau et de la « profondeur de son engagement ». « Il a toute mon admiration, mon respect et ma loyauté », a-t-il dit. L'accolade que les deux hommes se sont donnée par la suite n'était toutefois pas des plus chaleureuses.

Dans un discours plutôt laborieux, le chef péquiste a souligné la « vive émotion » qui a « secoué » le caucus des députés lorsque M. Bédard a expliqué sa décision aux collègues. Plus tôt, à la sortie de la réunion matinale du Parti québécois avant la période des questions, les députés paraissaient sonnés et s'étaient limités dans leurs commentaires.

M. Péladeau a salué « l'apport considérable » de M. Bédard. Il a rappelé l'aide que lui a apportée le député lorsqu'il a accédé au poste de chef de l'opposition officielle.

Le mois dernier, le chef péquiste a démis le député de son rôle de leader parlementaire, un poste qu'il a occupé pendant sept ans. Sa mutation l'a privé d'une prime de 32 000 $ par année.

M. Bédard a assuré à l'époque qu'il comptait terminer son mandat.

Questionné à savoir pourquoi il a dégradé son vétéran député, M. Péladeau a répondu : « Je n'ai pas à m'expliquer là-dessus. Je prends les décisions qui m'apparaissent importantes en ce qui concerne l'entourage du chef et toute l'équipe des officiers. »

Il se dit d'ailleurs à l'aise de voir M. Bédard toucher son allocation de transition - communément appelée la « prime de départ ».

« La loi telle qu'elle existe aujourd'hui lui permet de la prendre, a dit M. Péladeau. Alors ce que nous souhaitons au Parti québécois, c'est que le Parti libéral fasse le nécessaire, le gouvernement, pour faire en sorte justement - et nous avons été nombreux à le mentionner - que la loi soit changée. »

Le PQ presse le gouvernement Couillard d'abolir les primes de départ depuis des mois. Il s'est insurgé face aux milliers de dollars touchés par les députés libéraux Yves Bolduc, Gil Ouimet, Marguerite Blais et Robert Dutil lorsqu'ils ont quitté l'Assemblée nationale.

Stéphane Bédard faisait partie de la garde rapprochée de Pauline Marois. Il avait occupé le poste de chef du PQ après sa démission jusqu'à ce que Pierre Karl Péladeau arrive en poste, le 17 mai dernier.

Il était revenu à son poste habituel de leader parlementaire, mais cet automne, il avait été mis de côté par le chef, qui lui avait préféré Bernard Drainville. Il n'avait jamais accepté cette rétrogradation, confirment des sources péquistes, bien qu'il se soit retenu devant les journalistes. Il avait même demandé de ne pas être assis aux côtés de M. Péladeau au Salon bleu - Nicolas Marceau a été placé entre les deux hommes.

Stéphane Bédard retourne pratiquer le droit dans sa région. Des rumeurs voulant que le maire de Saguenay, Jean Tremblay, soit disponible pour lui faire la lutte aux prochaines élections l'inquiétaient passablement, chuchote-t-on.

Sous Mme Marois, M. Bédard avait occupé la fonction stratégique de président du Conseil du trésor. Il avait fait adopter la loi 1 sur l'intégrité dans l'octroi des contrats publics. Lors du débat sur l'amphithéâtre de Québec, qui avait failli causer une fracture irréparable au caucus péquiste, M. Bédard avait travaillé fort pour que son parti cautionne l'entente entre Québec et Québecor.

Son premier poste au conseil des ministres avait été sous Bernard Landry, qui l'avait nommé Secrétaire d'État au renouvellement de la fonction publique, en 2002. Il avait été élu une première fois avec Lucien Bouchard en 1998.

Il est le fils de Marc André Bédard, l'ancien ministre de la Justice sous René Lévesque. La famille est une institution importante dans la région de Saguenay.

Réactions

En Chambre, le premier ministre Philippe Couillard a rappelé le parcours de M. Bédard. Il a témoigné de sa « reconnaissance pour son service au Québec ».

Devant les journalistes, le ministre Pierre Moreau a affirmé que la démission de M. Bédard est « une perte majeure pour le Parti québécois ». La formation de M. Péladeau « perd ce qui pour nous est un adversaire redoutable ». Selon lui, « il est clair que M. Péladeau fait plus de remous que de bien à ce parti-là ».

Le chef caquiste François Legault estime que M. Bédard ne part pas seulement parce qu'il a perdu son poste de leader parlementaire. « La crise est plus grave que ça », a-t-il dit. « Autant le départ de M. Duceppe que le départ de M. Bédard, ça montre qu'il y a des joueurs qui comprennent de plus en plus que la souveraineté n'est pas à portée de main au cours des prochaines années et préfèrent faire autre chose. »

Pour Amir Khadir, avec les départs de MM Bédard et Duceppe, « c'est assez triste ce qui se passe pour le mouvement souverainiste ».