«On a tout perdu. Plus de meubles, plus de souvenirs, plus de photos. Ça a tout passé à l'eau», raconte Pierrette Lessard, encore consternée, en entrevue téléphonique. Il y a un an, une crue subite a fortement inondé sa maison de Dudswell, en Estrie. Résignés, son conjoint et elle ont assisté à la démolition de leur foyer. Un coup dur dont ils peinent encore à se remettre. Comme la leur, la vie de plus de 1300 familles a été troublée par les inondations du printemps 2014, l'une des catastrophes naturelles les plus coûteuses du Québec depuis 15 ans.

Pour rembourser une partie de la facture évaluée à 35 millions, le ministère de la Sécurité publique du Québec (MSP) a réclamé 21 millions au gouvernement fédéral, le 1er octobre dernier, révèle un document obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Neuf mois plus tard, aucune somme n'avait été versé à la province puisque le traitement des demandes des sinistrés n'était toujours pas complété. «Ce sont des montants préliminaires qui pourraient être revus par le MSP», a précisé la porte-parole Alexandra Paré.

Chez Sécurité publique Canada, on affirme être en train de «confirmer l'admissibilité de l'événement aux termes des Accords d'aide financière en cas de catastrophe (AAFCC) et les niveaux de paiement éventuels», a indiqué par courriel la porte-parole Josée Sirois. Ce programme fédéral permet d'aider les provinces à couvrir une partie des frais occasionnés par une catastrophe. Dans le cas du Québec, les coûts admissibles doivent surpasser 8 millions. Une fois qu'Ottawa considère un sinistre comme admissible, une province a cinq ans pour demander un remboursement.

Un mètre d'eau dans la cuisine

En avril 2014, de fortes précipitations se sont abattues sur la plupart des régions du Québec, ce qui a fait subitement fondre le couvert de neige. Ce cocktail météo a provoqué la hausse du débit et du niveau de nombreuses rivières du sud de la province, entraînant d'importantes inondations. «De nombreuses routes, ponts, ponceaux et systèmes d'aqueduc ont été endommagés», souligne le document.

Le cauchemar de Pierrette Lessard et de Gaétan Breton, lui, a commencé dans la nuit du 5 avril 2014. Vers 3h du matin, Pierrette Lessard a entendu son chien aboyer. Vite sortie du lit, c'est le choc. Son chien était en train de boire de l'eau s'accumulant sur le plancher de la maison. «Il y en avait déjà 3-4 pouces. On a évacué vite, vite», raconte-t-elle. Le lendemain, la maison de un étage baignait dans un mètre d'eau. La cour arrière était un véritable lac. «Tu pouvais prendre ta chaloupe à moteur!», s'exclame-t-elle. Pourtant, la maison du couple se trouve loin de la rivière Saint-François, dont le niveau d'eau se situait alors plusieurs mètres au-dessus de son niveau habituel. «Notre terrain est plus bas que la moyenne», explique Mme Lessard.

Le verdict de l'inspecteur du Ministère a été irrévocable: il fallait démolir la résidence. «On a reçu 95 000$ tout compris, soit la valeur de la maison qu'on pouvait se rebâtir.» Comme la municipalité de Dudswell considérait que le terrain était dans une zone inondable, le couple n'a pas pu reconstruire au même endroit et s'est acheté une maison dans la ville voisine. Or, leur terrain se trouverait finalement dans une zone constructible selon un nouvel arpentage effectué l'automne dernier. Le couple devrait ainsi débourser «20 000$ tout de suite en partant» pour mettre à jour le terrain avant même de reconstruire en raison de la perte de droits acquis.

Des travaux de 35 millions

Le ministère de la Sécurité publique évalue les coûts des travaux d'urgence et de rétablissement à près de 35 millions pour les cinq ministères et organismes qui sont intervenus à la suite du sinistre, du 5 avril au 30 mai 2014. «Selon la simulation de partage des coûts ci-jointe, le montant remboursable par le gouvernement fédéral serait estimé à 16 millions», peut-on lire dans le document. C'est le MSP qui a déboursé la part du lion des dépenses: 24 millions pour l'aide directe aux sinistrés et 3 millions pour ses dépenses de fonctionnement, ce qui inclut les heures supplémentaires des employés et leurs frais d'hébergement. À l'automne 2014, le ministère des Transports du Québec (MTQ) avait déjà dépensé 1,6 million pour la réfection de routes et de ponts. Une somme supplémentaire de 6,2 millions devait s'ajouter d'ici 2015-2016 pour mener les travaux à terme.

Toutefois, ces sommes ne prennent pas en compte un autre article des AAFCC qui permet à une province de réclamer des fonds pour réparer ou reconstruire des structures afin d'éviter qu'elles demeurent vulnérables à une prochaine catastrophe. Québec offre donc aux «propriétaires touchés», comme Pierrette Lessard et Gaétan Breton «la possibilité de déplacer leur résidence, de stabiliser leur terrain ou de démolir leur résidence» par l'entremise de son programme général d'aide financière.

Le MSP réclame ainsi près de 5 millions supplémentaires au fédéral, soit 15% du coût des infrastructures endommagées, évalué à 32,8 millions. «Les coûts déboursés jusqu'à présent seraient de près de 2 millions, en supplément des sommes estimées pour le rétablissement», est-il indiqué dans le document.

- Avec la collaboration de William Leclerc