L'implantation du guichet unique pour l'accès aux places dans les centres de la petite enfance (CPE) et les garderies privées subventionnées connaît des ratés. La Coopérative Enfance Famille, qui gère le guichet, est inondée d'appels de parents inquiets. Le temps d'attente moyen s'élève à 45 minutes.

De leur côté, des garderies contestent la légalité du contrat qu'elles sont obligées de signer avec cet organisme sous peine de perdre leurs subventions.

Sélectionné à la suite d'un appel de propositions en décembre 2013, la Coopérative Enfance Famille est le gestionnaire du guichet baptisé La Place 0-5. L'État verse à cet organisme de Montréal tout près de 1 million pour implanter le système: 760 000$ cette année et 238 000$ l'an prochain, selon des documents financiers du ministère de la Famille.

La Place 0-5 sera la seule porte d'entrée pour obtenir une place dans un CPE ou une garderie privée subventionnée d'ici la fin de l'année.

Dans une première étape, la Coopérative Enfance Famille vient d'intégrer les listes d'attente de neuf guichets régionaux auxquels participaient volontairement plus de 300 CPE et garderies privées subventionnées. Les 60 000 parents qui avaient inscrit leur enfant dans un guichet régional ont reçu un courriel leur demandant d'autoriser le transfert des informations à La Place 0-5 et de mettre à jour leur dossier.

Or, des parents ont signalé à La Presse qu'ils ont du mal à obtenir un état de la situation de leur dossier depuis la fermeture des guichets régionaux, à la fin du mois de novembre. Le téléphone ne dérougit pas à la Coopération Enfance Famille. «Toute l'inscription se fait sur l'internet facilement mais, évidemment, on a toujours un parent qui peut être inquiet et qui nous appelle. Donc, le délai d'attente est plus élevé qu'on le souhaiterait», affirme la responsable des communications, Marie-Ève Dolbec.

La directrice générale Marie-Claude Sévigny parle d'un nombre «monstre» d'appels. «Cette situation nous préoccupe tout le temps. Nous sommes dans un lancement, il y a toujours un engouement, une période de pointe qui se crée et qui est très difficile à contrôler», plaide-t-elle. Six employés sont affectés au service à la clientèle. D'autres s'ajouteront la semaine prochaine.

Contrat «abusif»

Le 7 novembre dernier, le ministère de la Famille a émis une directive obligeant tous les CPE et toutes les garderies privées subventionnées à adhérer à La Place 0-5, sous peine de sanctions. Le Ministère a accordé un délai variant de quelques semaines à quelques mois pour se conformer.

Jusqu'ici, 17 services de garde ont reçu un avis de non-respect de la directive parce qu'ils n'avaient pas adhéré au guichet avant la date butoir. Certains d'entre eux contestent la légalité de la convention qu'ils doivent signer avec la Coopérative Enfance Famille. C'est le cas du CPE Les P'tits Soleils de Sainte-Dorothée, à Laval. Sa directrice générale, Sylvette Mousset, soutient que certaines clauses sont «abusives». Le contrat stipule que le CPE doit «prendre fait et cause en faveur de la Coopérative» si elle est visée par une poursuite «alléguant une faute de la Coopérative découlant des renseignements» inscrits sur son site. Une autre clause prévoit que «sauf en cas de faute grave de sa part», la Coopérative ne peut être tenue responsable envers une garderie pour la perte de fichiers ou de statistiques, l'intrusion d'un tiers dans le serveur et l'encombrement de la banque passante, par exemple.

«Sur le conseil d'administration du CPE, j'ai des comptables et des avocats, et ils m'ont dit: "Voyons donc, on ne peut pas signer ça, c'est n'importe quoi!" », lance Sylvette Mousset. Le CPE a demandé, en vain, de pouvoir négocier le contrat, faisant valoir qu'il est une corporation autonome.

Le Ministère lui a envoyé à la fin du mois dernier un avis l'informant que sa subvention sera réduite de 10% à compter du 1er février parce qu'il n'a pas respecté la date butoir du 16 janvier pour adhérer à La Place 0-5. Mme Mousset a finalement signé le contrat. «On n'a pas eu le choix. On se retrouve vraiment avec un fusil sur la tempe!»

Elle souligne également que le tarif annuel de La Place 0-5 est presque trois plus élevé que celui des guichets régionaux: 1300$ par garderie au lieu de 500$.

L'Association des garderies privées du Québec remet également en question le contrat. Elle a demandé un avis juridique.

«Il y a effectivement eu plusieurs questions qui ont été posées sur différents articles de la convention», reconnaît Marie-Claude Sévigny. Mais derrière la convention, il n'y a aucune mauvaise intention. Ce contrat a été rédigé avec l'aide d'avocats et revu par les membres du conseil d'administration qui sont eux-mêmes des représentants de services de garde.»

Elle admet que «c'est une situation vraiment particulière» que ce type de contrat n'ait pas fait l'objet de négociation. «C'est une des particularités de la situation actuelle au niveau de la mise en place du guichet. Ce n'est pas quelque chose qui pouvait se faire de discuter de la convention avec les 1678 corporations qui vont devoir être des utilisateurs du guichet», fait-elle valoir.

Selon elle, les clauses du contrat «vont faire en sorte que [tous les utilisateurs] vont comprendre qu'ils sont tous responsables et redevables les uns envers les autres».

En chiffres

Proportion des CPE et des garderies privées subventionnées qui utilisent La Place 0-5 à l'heure actuelle:

• Centre-du-Québec: 100%

• Mauricie: 100%

• Côte-Nord: 76%

• Abitibi-Témiscamingue: 59%

• Estrie: 57%

• Bas-Saint-Laurent: 55%

• Saguenay-Lac-Saint-Jean: 48%

• Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine: 45%

• Chaudière-Appalaches: 44%

• Outaouais: 43%

• Laurentides: 40%

• Laval: 34%

• Capitale-Nationale: 34%

• Montréal: 30%

• Montérégie: 27%

• Lanaudière: 3%

Nombre de places subventionnées:

• CPE: 87 986

• Garderies privées: 45 091

• Services de garde en milieu familial: 91 664

• Total: 224 741

• Les garderies en milieu familial ne sont pas obligées de participer au guichet «unique», mais elles pourront afficher leurs places sur le site La Place 0-5.

• Il existe également 50 488 places dans les 934 garderies privées non subventionnées.