La réforme du réseau de la santé que le gouvernement Couillard fera adopter sous le bâillon aujourd'hui risque de nuire aux négociations dans les secteurs public et parapublic.

Le front commun syndical a lancé cet avertissement lors d'une rencontre éditoriale avec La Presse, hier. Il a vu apparaître récemment sur son écran radar un amendement que le ministre de la Santé Gaétan Barrette veut apporter à son projet de loi 10. Selon le front syndical, cet amendement aurait des répercussions néfastes sur les négociations sur le renouvellement des conventions collectives des 540 000 employés de l'État.

Le projet de loi 10 abolit les agences régionales de la santé et fait passer de 185 à 33 le nombre d'établissements dans le réseau. L'opération chambardera les unités d'accréditation syndicale. Beaucoup seront fusionnées. Or, en vertu d'une loi déjà en vigueur, il ne peut y avoir plus de quatre unités par établissement: les infirmières, le personnel de soutien, le personnel administratif ainsi que les techniciens et les professionnels.

Ainsi, des membres de la CSN issus de l'établissement X vont se trouver dans la même unité que des membres de la FTQ provenant de l'établissement Y. Ils devront choisir l'allégeance syndicale de la nouvelle unité. Cela implique une période de maraudage au cours de laquelle les syndicats se feront la lutte pour grossir leurs rangs.

Maraudage

La première mouture du projet de loi prévoyait de reporter les changements d'allégeance après la négociation des conventions collectives.

Or l'amendement précise qu'une association de salariés a jusqu'au 1er juin pour adresser une requête en accréditation à la Commission des relations de travail. La période de maraudage se tiendrait par la suite. Les votes se tiendraient vers la fin d'octobre. Le tout se déroulerait au moment même où se négocieront les conventions collectives - les présentes conventions seront échues le 31 mars.

Gaétan Barrette doit écarter ce scénario, estime le front commun (CSN, CSQ, FTQ, SFPQ et APTS). Environ la moitié de ses 400 000 membres travaillent dans le réseau de la santé.

«On ne sera pas en mesure de mener une négociation alors qu'on va être en train de se battre entre nous sur des votes d'allégeance syndicale dans les établissements», a soutenu le président de la FTQ, Daniel Boyer.

Aucun représentant syndical ne voudra s'avancer sur des concessions à la table de négociation en plein maraudage, a ajouté la vice-présidente de la CSN, Francine Lévesque. «Si moi je m'avance le museau, Daniel va dire: «Avez-vous vu, la CSN, comment elle a fait ça?» Et si c'est la FTQ qui s'avance le museau, c'est nous qui allons dire: «Avez-vous vu la FTQ...» On ne peut pas négocier dans un contexte comme celui-là. Il faut que le ministre nous donne de l'espace.»

Mais Gaétan Barrette a refusé de reporter le maraudage jusqu'ici, selon elle.

Pas avant l'été

Quant à envisager le règlement des conventions collectives avant l'été, ce n'est pas réaliste, estime Mme Lévesque. Les syndicats devront consulter leurs membres, or les équipes sur le terrain auront plutôt les yeux tournés vers les changements imminents dans les unités d'accréditation syndicale.

Et si le gouvernement voulait diviser pour régner? «Le gouvernement a tout intérêt à ce qu'on soit en mesure de négocier et de faire les compromis nécessaires, a répondu M. Boyer. Si on est en train de se taper mutuellement sur la gueule dans nos établissements, je ne vois pas où on va l'avoir, la marge pour un compromis.»

L'expérience montre que la stratégie du gouvernement est contre-productive, selon le front commun. La vaste fusion des unités d'accréditation syndicale dans le réseau de la santé, lancée en 2003, a traîné en longueur et a envenimé les négociations sur les conventions collectives. Le gouvernement Charest a finalement imposé les contrats de travail au moyen d'une loi spéciale, en décembre 2005.