Malgré les appels en ce sens, le premier ministre Philippe Couillard n'a pas l'intention de laisser les récents attentats ayant secoué les quatre coins de la planète le forcer à légiférer de façon précipitée afin de proclamer la neutralité religieuse de l'État québécois.

À Bridgend, au Pays de Galles, le premier ministre a même laissé entendre vendredi qu'il était peu probable qu'un projet de loi à cet effet soit déposé à l'Assemblée nationale au cours de la session parlementaire actuelle - qui doit reprendre en février pour se terminer en juin.

«De toute façon, on ne voulait pas le faire dans cette session parlementaire, a-t-il dit, en compagnie de son homologue gallois, Carwyn Jones. Ça pourrait être la prochaine session. Ça va être fait certainement d'ici la fin du mandat (en 2018).»

Avant de prendre le pouvoir en avril dernier, M. Couillard avait pourtant promis d'agir «rapidement» dans ce dossier, qui constituait selon lui un sujet de grande préoccupation pour les Québécois.

En fin de mêlée de presse, le premier ministre, qui a réitéré son engagement électoral, a quelque peu tempéré ses propos, affirmant qu'un éventuel projet de loi pourrait être déposé au cours des prochains mois s'il était «prêt», sans toutefois montrer d'empressement à cet effet.

Il s'est ainsi montré plus tranchant que sa ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, qui, jeudi, a promis l'adoption de mesures au cours des prochains mois, refusant toutefois de précipiter les choses et de fournir un échéancier.

Ce dossier a rebondi lors du deuxième jour de la mission européenne du premier ministre, au lendemain d'opérations antiterroristes survenues en Belgique, au cours desquelles deux personnes ont été abattues et une vingtaine d'autres suspects se sont retrouvés en détention.

Sans minimiser la portée des attentats survenus au Canada, en France ainsi qu'en Australie par des individus qui se seraient radicalisés, M. Couillard a estimé que légiférer pour adopter une loi sur la laïcité serait une «fausse erreur», ajoutant que l'encadrement des accommodements raisonnables n'avait rien à voir avec l'extrémisme récemment constaté.

«Ça se fera au moment où les esprits se seront éloignés de la crise qu'on est en train de vivre où l'on pourra (éviter) de glisser vers la stigmatisation et l'exclusion des gens», a-t-il dit.

Bien que préoccupant, le phénomène de la radicalisation demeure «très marginal» au Québec par rapport à certains endroits dans le monde, a souligné le premier ministre, qui se dit tout de même pour l'encadrement des accommodements raisonnables ainsi qu'en faveur de la livraison des services à visage découvert dans la fonction publique québécoise.

M. Couillard n'a toutefois pas raté l'occasion d'écorcher le député péquiste Bernard Drainville, qui, en déposant une nouvelle mouture de sa charte sur la laïcité, a affirmé que le Québec ne pouvait plus attendre avant de légiférer dans ce dossier afin de faire barrage aux radicaux.

«(C'est) ridicule, a dit le premier ministre. Totalement faux. Lorsque, malheureusement, une proposition a été faite de congédier des femmes en raison de la façon dont elles s'habillent, on nourrit les extrémistes.»

Selon lui, les propositions du candidat à la chefferie du Parti québécois de dicter le code vestimentaire des gens oeuvrant au sein de l'appareil public ne représentent pas la «bonne façon» de les inclure au sein de la société.

Pour M. Couillard, plus les signes d'exclusion se manifestent, plus les extrémistes sont contents.

«Oui il faut un équilibre, mais cette association (entre neutralité religieuse et extrémisme) est totalement inappropriée», a-t-il dit.

Le premier ministre québécois a passé la journée au Pays de Galles à l'invitation de M. Jones, dans le cadre de sa mission économique et politique qui prévoit des arrêts à Bruxelles, en Belgique, ainsi qu'au Sommet économique de Davos, en Suisse.

L'entourage de M. Couillard a par ailleurs laissé entendre que ce dernier comptait tout de même se rendre en Belgique malgré les opérations antiterroristes ainsi que le niveau d'alerte en Belgique, relevé à 3, sur un maximum de 4.

Partage des pouvoirs: Couillard se montre prudent au Pays de Galles

Sans se gêner pour vanter les liens communs entre le Québec et le Pays de Galles sur les dossiers de la culture et de l'économie, Philippe Couillard s'est montré moins loquace, vendredi, lorsque le dossier du partage des pouvoirs a été évoqué.

La dévolution mise de l'avant par le gouvernement britannique en 1997 a entre autres permis à l'Assemblée nationale galloise d'adopter des projets de loi dans 20 champs de compétence sans avoir besoin de l'aval des autorités britanniques.

Au deuxième jour de sa mission économique et politique, où il s'est arrêté à Cardiff ainsi qu'à Bridgend, le premier ministre du Pays de Galles, Carwyn Jones, a entre autres expliqué qu'il serait curieux de voir si certains aspects du fédéralisme canadien pourraient s'appliquer au régime politique du Royaume-Uni.

En mêlée de presse, ce dernier a rappelé que les Gallois, qui possèdent une langue et une culture distinctes, estiment que les règles constitutionnelles britanniques doivent changer pour permettre l'affirmation des nations.

À ses côtés, M. Couillard s'est montré prudent en commentant le dossier. Il plaidé que le fédéralisme canadien était le plus «décentralisé au monde» et ajouté que les gens du Royaume-Uni seraient «très heureux» de posséder les pouvoirs des provinces canadiennes comme le Québec.

Il a également souligné que la «tradition fédéraliste» canadienne reposait sur une Constitution écrite depuis plus de 150 ans et que le Québec en faisait partie - même si la province n'a toujours pas signé le document.

Le premier ministre Couillard n'a pas semblé fermer la porte à la possibilité de voir la province obtenir de nouveaux pouvoirs, mais il n'a pas dit si cela devait passer par une nouvelle ronde de négociations constitutionnelles.